FERRARI
Etats-Unis – 2023
Genre : Drame
RĂ©alisateur : Michael Mann
Acteurs : Adam Driver, Penelope Cruz, Shailene Woodley, Patrick Dempsey, Sarah Gadon, Gabriel Leone, …
Musique : Daniel Pemberton
Durée : 130 minutes
Distributeur : Prime Video
Date de sortie : 8 mars 2024
LE PITCH
1957, l’entreprise d’Enzo Ferrari est au bord de la ruine. Pris en Ă©tau entre un mariage qui bat de l’aile, une double vie qu’il refuse d’admettre, ses dettes et la concurrence de Maserati, « Il Commendatore » dĂ©cide de jeter toutes ses forces dans la course des Mille Miglia, …
Le Solitaire
Incroyable mais vrai. Le nouveau film de Michael Mann, sans doute l’un des plus grands cinĂ©astes amĂ©ricains encore en activitĂ©, est distribuĂ© Ă la sauvette sur une plateforme de streaming. Nous rĂŞvions de dĂ©couvrir Ferrari sur un grand Ă©cran dans une salle dernier cri, il faudra se contenter du confort (parfois relatif) de nos canapĂ©s. Ĺ’uvre imparfaite et dĂ©cevante, hermĂ©tique et fascinante, le douzième long-mĂ©trage du rĂ©alisateur du Dernier des Mohicans et de Heat mĂ©ritait assurĂ©ment mieux.
Tenace, Michael Mann. DĂ©possĂ©dĂ© du biopic qu’il souhaitait consacrer Ă Howard Hughes au profit du duo Martin Scorsese / Leonardo Di Caprio (sur Aviator, il devra se contenter d’un poste de producteur exĂ©cutif), le cinĂ©aste n’allait pas laisser l’histoire se reproduire avec Enzo Ferrari. MĂŞme s’il s’est en quelque sorte fait griller la politesse par James Mangold et son Ford V Ferrari (oĂą l’ombre de l’industriel italien, campĂ© par Remo Girone, plane en arrière-plan) et, dans une moindre mesure, par Lamborghini : The Man Behind The Legend de Robert Moresco, oĂą le personnage est cette fois-ci interprĂ©tĂ© par Gabriel Byrne, Michael Mann a tenu bon pour imposer SA vision d’un homme dont la personnalitĂ© l’obsède depuis au moins trente ans. Et on peut aisĂ©ment comprendre pourquoi. Self-made man impitoyable au caractère obsessionnel et impĂ©nĂ©trable, Enzo Ferrari symbolise la quintessence du mâle alpha selon Michael Mann. Outre la ressemblance physique Ă©vidente et recherchĂ©e (ne serait-ce que pour la chevelure poivre et sel, les costumes sur mesure et ses postures fĂ©lines) avec Will Graham (Manhunter), Neil McCauley (Heat) et Vincent (Collateral), « Il Commendatore » concentre toutes les forces et les faiblesses des anti-hĂ©ros ayant dĂ©filĂ© devant la camĂ©ra du cinĂ©aste. Ferrari Ă©tait un professionnel, un autodidacte brillant qui n’a jamais hĂ©sitĂ© Ă mouiller le maillot en personne et Ă mettre sa vie en danger, un leader respectĂ© mais fĂ©roce et rancunier, un solitaire dissimulant ses tourments derrière une carapace insensible et antipathique et un homme entretenant des relations compliquĂ©es et conflictuelles avec les femmes ayant le malheur de tomber amoureux de lui. Au travers de cette figure historique de l’industrie automobile, Michael Mann pousse son exploration de la masculinitĂ© et de la virilitĂ© dans ses ultimes retranchements, jusqu’Ă l’abstraction. LittĂ©ralement rongĂ© de l’intĂ©rieur par la nĂ©cessitĂ© de ne jamais rien laisser paraĂ®tre, de garder en permanence le contrĂ´le et de ne pas mĂ©nager ceux qui l’entourent, Adam Driver abat un travail formidable et livre une performance sur le fil et courageuse, malheureusement un peu gâchĂ©e par un accent italien too much (rouler les r Ă ce point devrait ĂŞtre interdit).
Milles bornes
Se basant sur la biographie Ă©crite par Brock Yates et faisant autoritĂ© (Enzo Ferrari – The Man, The Cars, The Races, The Machine), le scĂ©nario de Troy Kennedy Martin se concentre sur une pĂ©riode limitĂ©e et cruciale de l’existence d’Enzo Ferrari : l’annĂ©e 1957. L’annĂ©e oĂą l’industriel de Modène fut sur le point de tout perdre : son entreprise et sa famille. D’un cĂ´tĂ©, Enzo doit nĂ©gocier la fin d’un mariage marquĂ© par le deuil d’un fils et par la reconnaissance d’une infidĂ©litĂ© et d’un autre fils, illĂ©gitime celui-ci. De l’autre, une victoire de l’Ă©curie Ferrari Ă la course des Mille Miglia apparaĂ®t comme la seule possibilitĂ© d’Ă©chapper Ă une faillite annoncĂ©e.
Mais alors que l’on croyait Michael Mann devenu expert dans l’art d’abolir les frontières entre l’intime et le spectaculaire (sa filmographie parle pour lui), le cinĂ©aste se heurte ici Ă son protagoniste en titre comme une Ferrari lancĂ©e Ă 160 km/h dans un mur en bĂ©ton renforcĂ©. Le refus d’Enzo Ferrari de laisser transpirer la moindre Ă©motion (par habitude, par instinct de survie, par arrogance) laisse peu de chances au spectateur pour s’investir et s’attacher. Mann nous invite Ă scruter un visage, Ă dĂ©busquer le moindre signe de fragilitĂ©. La mĂ©thode est audacieuse et exigeante et requiert de la concentration. Mais elle est Ă double tranchant. Surtout lorsque le reste du casting n’offre que peu de distraction ou d’ancrage. Les traits tirĂ©s, Penelope Cruz en fait des caisses (!) en Ă©pouse bafouĂ©e. Sous-employĂ©e, Shailene Woodley ne bĂ©nĂ©fice pas du temps de prĂ©sence suffisant pour donner de l’Ă©paisseur au rĂ´le de Lina Lardi, la deuxième femme dans la vie de Ferrari. Surnagent (trop) brièvement Daniela Piperno en belle-mère acariâtre (Adalgisa Ferrari, mère d’Enzo), la toujours impeccable Sarah Gadon en Linda Christian, petite amie malheureuse du pilote Alfonso de Portago, et un Patrick Dempsey tout Ă fait mĂ©connaissable dans la combinaison du pilote Piero Taruffi.
Immersives et terrifiantes, les scènes de course automobile permettent in extremis au cinĂ©aste de rappeler aux cinĂ©philes un peu refroidis qui est le patron. S’appuyant sur un sens du dĂ©tail percutant, un mixage sonore d’un rĂ©alisme bluffant et une science du cadre et du dĂ©coupage qui ne cesseront jamais de faire des envieux, Michael Mann fait rugir les moteurs avec une hargne et un savoir-faire que l’on aurait tant aimĂ© retrouver dans les scènes intimistes. Sa mise en image du terrible accident de Guidizzolo (9 morts dont cinq enfants) atteint des sommets de violence et pourrait bien redĂ©finir la notion mĂŞme de crash automobile au cinĂ©ma. Rien que pour ces quelques minutes de gĂ©nie absolu, on lui pardonnera volontiers un film sans doute un peu trop radical pour son propre bien.