SERGIO SOLLIMA : LE CINÉMA AU COUTEAU

France – 2025
Genre : Cinéma, Biographie
Auteur : Vincent Jourdan
Nombre de pages : 224
Éditeur : Editions Rififi
Date de sortie : Février 2025
LE PITCH
Sergio Sollima, le cinéma au couteau vous invite à parcourir un demi-siècle d’histoire du cinéma italien, à travers le destin et la carrière d’un cinéaste atypique. Malgré une filmographie relativement modeste, Sergio Sollima a su marquer son époque par la création de personnages mythiques, tels que l’agent 3S3, Cuchillo et Sandokan, et par la réalisation de films phares dans les genres qu’il a explorés. Du western au polar, du cinéma d’aventure à l’espionnage, Sergio Sollima a également insufflé à ses films son engagement politique et humaniste, né des années sombres du fascisme.
Le troisième Sergio
Dix ans après son décès, le réalisateur Sergio Sollima a enfin droit à un ouvrage en langue française, rédigé par Vincent Jourdan et édité aux Editions Rififi. Un ouvrage passionnant qui revient sur la carrière et le parcours d’un cinéaste qu’on a trop souvent réduit à ses trois excellents westerns qui lui ont valu de faire partie des « trois Sergio » du cinéma italien aux côtés de Corbucci et Leone.
Décédé en 2015, Sergio Sollima faisait partie des grands cinéastes de l’âge d’or du cinéma de genre italien. Grâce à nos éditeurs francophones, comme Wild Side (Le dernier face à face et Colorado), M6 Vidéo (La poursuite implacable) ou encore Sidonis (La cité de la violence), une partie de sa filmographie est disponible en France. Mais malgré ces éditions souvent riches en contenu et en bonus, aucun livre en langue française lui étant consacré n’avait jusqu’alors vu le jour… Un « oubli » désormais réparé grâce au livre Sergio Sollima, le cinéma au couteau de Vincent Jourdan. Déjà auteur de l’indispensable Voyage dans le cinéma de Corbucci, paru en 2018 aux éditions Lettmotif, le critique cinéphile nous partage ici son intérêt pour un réalisateur à la carrière finalement assez modeste en quantité (seulement 12 films pour le cinéma ainsi que plusieurs séries et téléfilms pour la télévision) mais qui sut marquer les esprits comme l’attestent l’énorme succès de Sandokan (près de 27 millions de téléspectateurs) en Italie lors de sa sortie en 1976 ou encore le consensus critique qui se dégage autour de son œuvre avec notamment ses deux premiers westerns souvent qualifiés, à juste titre, de chefs d’œuvre du genre.
Après avoir sorti l’autobiographie d’Enzo Castellari, Inglorious Bâtard, en 2021, et avant celle de Sergio Martino en fin d’année, les éditions Rififi sont à nouveau derrière cette belle initiative. Fidèle à son habitude, le jeune éditeur, créé en plein Covid, nous gratifie d’un livre avec de nombreux photogrammes et une superbe couverture signée Melvin Zed, également auteur de Mad Max, ultraviolence dans le cinéma paru chez le même éditeur. Dans ce livre qui revêt à la fois une approche biographique ainsi qu’une analyse thématique, Vincent Jourdan revient évidemment sur les trois westerns de Sollima : Colorado, Le dernier face à face et Saludos Hombre. Trois films exemplaires où au contraire du style baroque de Leone et de la violence stylisée de Corbucci, Sollima imprimait une patte plus classique, à l’américaine…tout en y instillant une conscience politique qui sera l’un des thèmes centraux de son œuvre.
En toute conscience
Deux aspects de la filmographie du romain qui s’expliquent en partie par sa propre histoire. En effet, Vincent Jourdan revient sur les premières années de Sollima où celui-ci intégra le Centro Sperimentale, école de cinéma nationale inaugurée en 1941 par Mussolini et démontre à quel point ce passage « à l’école » sera très formateur, aussi bien d’un point de vue personnel que professionnel. Ainsi, en 1943 lors de l’invasion de Rome par les Allemands, Sollima et une partie de ses collègues s’engage dans la Résistance. L’heure du choix et de la prise de conscience politique deviendront ainsi l’un des leitmotivs de ses films, du chasseur de primes Corbett dans Colorado (1966) utilisé pour des manigances politiques au soldat allemand dans Berlino 39 se rebellant face à sa hiérarchie.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que le jeune Sollima rejoint alors une organisation « catholico-communiste » (!) et de constater à quel point ces deux idéologies ont pu infuser dans son œuvre. A l’aube des années 1980, Sergio Sollima réalisera d’ailleurs une série TV très appréciée en Italie, I ragazzi del celluloid, qui revient sur cette période et revêt à bien des égards une approche autobiographique puisque les protagonistes sont des élèves du Centro sperimentale en pleine Seconde Guerre Mondiale. C’est aussi durant cette période que le jeune Sollima devient un expert du cinéma américain, sortant en 1947 un ouvrage, Cinema in USA, analysant et retraçant une grande partie de la production américaine et de son Histoire. Il n’est donc pas étonnant de retrouver cet amour du cinéma hollywoodien, et notamment d’un certain John Ford, dans la scénographie d’un homme ayant aussi été scénariste et metteur en en scène de théâtre durant les années 1940-50. Le cinéaste déclarera d’ailleurs que « le théâtre est ma femme, mais je lui fais quelques infidélités avec le cinéma. »
Les premières contributions de Sollima au cinéma adviendront à la fin des années 50 avec de nombreuses collaborations en tant que scénariste sur des péplums, genre alors en vogue, avec notamment Domenico Paollela, ancien collègue au Centro Sperimentale. Ses véritables débuts en tant que réalisateur auront lieu en 1961 avec un film à sketch, Les amours difficiles, où il mettait en scène Enrico Maria Salerno et la divine Catherine Spaak. A partir de 1965, il signe ses premiers long-métrages en tant que réalisateur en réalisant trois Eurospy en l’espace de deux ans. Trois films de qualité, avec notamment Stewart Granger, qui demeurent inédits en France. Et c’est en 1966 avec le western Colorado que Sollima écrira ses lettres de noblesse en faisant émerger une future figure incontournable du cinéma de genre italien avec Tomas Milian.
Du septième Art au petit écran
La collaboration avec le génial italo-cubain accouchera de deux autres films incontournables du genre, avec Le dernier face à face et Saludos Hombre. Dans ce dernier film, Milian reprend son rôle de Cuchillo (couteau en espagnol) le peon exploité et pourchassé par les puissants, un thème central chez Sollima où l’autochtone doit bien souvent prendre les armes pour défendre sa liberté. Un rôle et un personnage qui prendront une dimension politique avec notamment la réappropriation du nom par le groupe d’extrême-gauche Lotta continua. Malgré la qualité de ces deux films et leur succès en salles, les financements se font plus compliqués. En effet, comme le souligne l’auteur Vincent Jourdan, Sollima tenait à avoir la main pour choisir son casting, et l’absence de « stars » internationales dans ces deux derniers westerns lui coûtera notamment l’absence de United Artists à la production…
Avec les années 1970, les modes changent et Sollima s’engouffre dans le Giallo avec Un diable dans la tête, qui reste bizarrement inédit en France malgré la présence de Maurice Ronet et Micheline Presle à l’affiche. Dans ce giallo atypique, lorgnant plus vers le cinéma d’Hitchcock que celui d’Argento, on retrouve également la « vénus » Stefania Sandrelli, Keir Dullea, acteur principal de 2001 odyssée de l’espace, et la musique du Maestro Ennio Morricone qui fut un fidèle collaborateur de Colorado en 1966 à La poursuite implacable en 1973. Sollima s’engagera ensuite dans un autre filon des années 1970 en Italie, le poliziottesco, avec La cité de la violence, où Charles Bronson tenait pour l’une des premières fois le rôle du tueur solitaire qui lui collera en suite à la peau, et le politisé La poursuite implacable avec le duo Oliver Reed-Fabio Testi. L’échec de ce dernier précipitera la reconversion de Sollima vers la télévision avec le triomphe de Sandokan en 1976, où Sollima prit encore de nombreux risques en donnant notamment le rôle-titre à Kadir Bebi qui devint instantanément une méga-star en Italie. L’acteur indien jouera également dans deux autres films de Sollima, Le corsaire noir et Sandokan alla riscossa, également adaptés des récits d’Emilio Salgari, auteur de Sandokan. Les réalisations, télévisuelles, de Sollima durant les années 1980-90 (Uomo contro uomo sur la ‘Ndranghetta, Passi d’amore avec Alessandra Martines et Adieu mon fils avec Giovanna Ralli) demeurent pour la plupart inédites en France et ont une belle réputation en Italie. Malheureusement, ces deux dernières réalisations demeureront des échecs entre son dernier film pour le cinéma, Berlin 39, qui n’attirera guère les foules et surtout avec le camouflet de la série Le fils de Sandokan…qui ne sera finalement jamais diffusé !
En somme, l’ouvrage de Vincent Jourdan se révèle être tout simplement indispensable pour les amateurs du cinéma italien et d’un réalisateur qui sut à la fois lier le message politique et le grand spectacle. Le sous-texte historique, entre la Seconde Guerre Mondiale ou la période des années 1968, est également parfaitement rendu et permet de mieux comprendre la trajectoire de ce cinéaste passionnant et passionné.