Dans un monde de l’animation où la norme est devenue depuis longtemps une 3D bien trop lisse et arrondie, le cinéma de Tomm Moore (qui a accessoirement collaboré avec Mamoru Hosoda sur Belle) frappe immédiatement par son originalité et ses particularités. Si certains l’on rapidement rattaché au maitre japonais Hayao Miyazaki par sa préservation de l’animation traditionnelle, que l’on pourrait presque voir comme un geste de résistance artistique, et ses valeurs écologistes, il travaille cependant une esthétique et un univers qui lui est propre. Ses trois réalisations portent une signature indélébile, celle d’un amoureux de l’art médiéval, de ses perspectives et de ses jeux d’échelles qui paraissent aujourd’hui faussés, retrouvant des designs et structures merveilleusement géométriques et un sens de l’enluminure merveilleux. Avec son studio Cartoon Saloon, il affirme donc une nouvelle impressionnante démonstration technique, assurant une animation particulièrement fluide, une lumière délicate, une grande finesse de précision, mais préserve, pour rappeler une certaine touche artisanale, quelques lignes de constructions ou des contours plus brossés, encore tremblotants.

Princesses de la meute

C’est que ce cinéma-là a une âme. Celui d’un folklore irlandais où renait l’habituelle quête initiatique de la jeune héroïne pleine de certitudes, l’amitié entre deux jeunes filles que tout sépare « et pourtant », sur fond d’un peuple loup-garou qui change de forme lorsqu’ils s’endorment. Elle est fille d’un célèbre chasseur, l’autre petite sauvageonne à l’œil plein de malice, et elles vont forcément s’allier pour délivrer la mère de Mebh, figure imposante mais chaleureuse aux allures de déesse terrestre klimtienne. D’un monde à l’autre, de la cité dite civilisée aux teintes grises et aux contours abruptes à celui d’une forêt chatoyante aux reflets automnales, du royaume conquérants et bruyant des hommes à celui poétique et naturel des loups dont la meute est animée comme un seul être. Dans cette grande aventure pleine de péripéties, de dangers, de poésie et d’émerveillement, il est bien entendu question de l’instrumentalisation des loups, et le plus généralement de celle du monde sauvage, comme prétexte à une déforestation égoïste et absurde, ainsi que de la dangerosité de la peur et du repli sur soi.

Avec, entre autres, son contexte historique marqué, celui d’une Irlande occupée et écrasée par l’autorité britannique, Le Peuple Loup est un film d’animation qui ne prend vraiment pas ses jeunes spectateurs pour des idiots et ça fait beaucoup de bien.