JOHN FORD : PREMIERS WESTERNS
Straight Shooting, Bucking Broadway, Hell Bent – États-Unis – 1917, 1918,
Support : Bluray
Genre : Western
Réalisateur : John Ford
Acteurs : Harry Carrey, Molly Malone, Duke R. Lee, Vester Pegg, Neva Gerber, George Berrell, …
Musique : Divers
Durée : 167 minutes
Image : 1.35, 16/9
Son : Muet
Sous-titres : Français
Éditeur : Rimini Editions
Date de sortie : 3 octobre 2022
LE PITCH
Du sang dans la prairie (1918) :
Cheyenne Harry, tricheur invétéré tombe amoureux de Bess Thurston, dont le frère s’est acoquiné avec une bande de gangsters.Le ranch Diavolo (1917) :
De modestes fermiers menacés par de riches éleveurs reçoivent l’aide d’un hors-la-loi dont la tête est mise à prix.À l’assaut du boulevard (1917) :
Dans un ranch du Wyoming, l’un des cowboys tombe amoureux de la fille du patron. Elle s’enfuit avec un homme riche. Le cowboy décide de partir à sa recherche.
The Artist
De la période muette de John Ford pour les studios Universal, peu d’œuvres subsistent à ce jour. Rendant hommage au cinéaste légendaire et avant la réédition luxueuse de L’Homme tranquille prévue pour fin novembre, Rimini et ESC proposent en haute définition trois métrages emblématiques de la collaboration entre Ford et l’acteur Harry Carrey. Une véritable leçon d’histoire, aussi émouvante que surprenante.
Ayant suivi son frère aîné Francis à Hollywood en 1914 pour lui servir d’homme à tout faire (assistant, figurant, cascadeur, et la liste est encore longue) à la Universal, John Ford, qui se fait alors appeler Jack, débute dans la mise en scène au début de l’année 1917 à l’âge de 22 ans. S’il reste encore sous la coupe de son frangin et de Grace Cunnard, actrice, scénariste, réalisatrice et accessoirement compagne de ce dernier, à l’occasion de ses premières bobines – considérées comme définitivement perdues – il parvient très vite à s’émanciper en collaborant avec Harry Carrey, superstar du western. Authentique joyau de ce coffret, Straight Shooting (Le ranch Diavolo, en VF) est le tout premier « long » métrage de John Ford et la confirmation éclatante d’un artiste en pleine possession de ses moyens. Dans cette aventure où Cheyenne Harry, le personnage fétiche de Carrey, se retourne contre les cowboys qui l’emploient pour protéger des fermiers, tout est déjà là. La simplicité, l’authenticité, le sens du cadre, les ambitions picturales, le refus du manichéisme et le thème de la rédemption au contact de valeurs telles que l’amour, la famille et la terre. En 67 petites minutes filant à la vitesse d’un étalon sauvage dans les plaines du Montana, Ford enchaîne les plans larges immersifs (déjà ce travail sur la profondeur de champ !), passe du rire aux larmes avec une légèreté sidérante, confronte un anti-héros flingueur et alcoolique à sa propre conscience pour les yeux de la belle Molly Malone et emballe un climax épique où le siège d’un ranch se transforme en fusillade dantesque. Le talent sur lequel le futur réalisateur de La poursuite infernale et de La prisonnière du désert a construit sa légende n’a rien d’embryonnaire, il tourne alors à plein régime ! La surprise est d’autant plus grande lorsque l’on apprend qu’en coulisses, Ford dut ruser pour soutirer au studio trois bobines de plus et transformer le programme court pour lequel il avait été payé en programme long. D’abord viré pour ne pas avoir respecter son contrat, il fut aussitôt réembauché avec l’appui de Carl Laemmle, le patron d’Universal, et son influence fut renforcée par un succès immédiat en salles. Il ne pouvait en être autrement.
La chevauchée fantastique
Sortis entre noël 1917 et l’été 1918, À l’assaut du boulevard (Bucking Broadway) et Du sang dans la prairie (Hell Bent) témoignent de l’intense créativité caractérisant la collaboration entre John Ford et Harry Carrey. Tout en creusant via la silhouette désormais incontournable du personnage de Cheyenne Harry le sillon ultrapopulaire d’un western à la mythologie repensée et bien plus accessible qu’auparavant, le duo tente aussi par tous les moyens de ne pas sombrer dans la routine.
À l’assaut du boulevard situe, sans le mentionner de prime abord, son action dans un cadre contemporain (même si pour le spectateur d’aujourd’hui, c’était il y a plus d’un siècle!). Travaillant dans un ranch, Cheyenne Harry déclare sa flamme à la fille du propriétaire, toujours interprétée par Molly Malone, et lui construit même une maison. Mais un beau parleur venu de la ville dans sa belle auto rutilante séduit la belle, l’enlève et la ramène à New York. Le film change de ton et se transforme en comédie romantique où le cowboy débarque en ville et se confronte à la cupidité et à la duplicité des citadins. Une manière pour Ford d’opposer la ville à la campagne, deux styles de vie radicalement incompatibles. La fable est efficace et en un sens visionnaire, à défaut d’être subtile. Le final, qui voit débarquer à cheval sur une grande avenue bondée tous les amis de Cheyenne Harry est mémorable en dépit d’une mêlée burlesque pas tout à fait convaincante et d’une conclusion abrupte.
Du sang dans la prairie s’essaie pour sa part à une approche pour le moins surprenante puisque Ford brise en quelque sorte le quatrième mur et met en scène le romancier qui va imaginer cette nouvelle histoire de Cheyenne Harry. Et les notes d’un éditeur que reçoit le dit romancier de refléter les ambitions de Ford vis à vis du western et la nécessité de briser le moule d’une approche trop mythologique pour convaincre pleinement. S’ensuit une plongée dans un tableau de Frederic Remington, peintre vénéré par le cinéaste. Ces quelques minutes d’introduction, audacieuses et inattendues, note d’intention sans ambiguïté d’un artiste à la personnalité affirmée, laissent la place à une suite de péripéties prévisibles mais impeccablement amenées, de la bromance entre Cheyenne Harry et Cimarron Bill à un duel final qui lorgne carrément vers le biblique. Avant le happy-end de rigueur, bien entendu. Outre sa dimension « méta » et une facture formelle une fois encore irréprochable, Du sang dans la prairie s’imprime dans la mémoire collective par la prestation impressionnante d’Harry Carey, crédible en toutes circonstances, drôle, imposant et charismatique sans jamais avoir à forcer le trait. Du grand art.
Image
Trois copies qui ont dépassées le siècle d’âge mais qui nous parviennent aujourd’hui dans des conditions très satisfaisantes. Le ranch Diavolo et surtout À l’assaut du boulevard se révèlent être les plus convaincantes, avec un minimum de défauts et d’accidents de pellicule apparents, une définition solide et une chroma respectée. Du sang dans la prairie souffre brièvement d’une séquence très abîmée, visiblement issue d’une bande magnétique mal repiquée, et la définition, globalement excellente cela dit, n’atteint pas les cimes des deux autres films. Il est impossible de se montrer trop sévère avec des transferts d’œuvres dont l’existence même tient du miracle et le confort de visionnage a fait l’objet de tous les soins possibles. Bravo à Rimini !
Son
S’agissant de films muets, on ne peut que souligner la présence de pistes musicales propres et qui savent se faire oublier. À l’assaut du boulevard est le seul film présenté sans le moindre accompagnement sonore.
Interactivité
Un livret (que nous n’avons malheureusement pas pu consulter) accompagne l’édition et proposent informations, mises en contexte et analyses. Chaque film est accompagné d’un entretient passionnant avec Nachiketas Wignesan, professeur de cinéma aux analyses pertinentes. Les anecdotes ne manquent pas, les propos sont érudits mais humbles et de nombreuses scènes sont disséquées avec une précision et une concision remarquable. Essentiel.
Liste des bonus
Entretiens avec Nachiketas Wignesan, enseignant de cinéma – Paris 3 : sur « À l’assaut du boulevard » (15 minutes), sur « Le Ranch Diavolo » (22 minutes) et sur « Du sang dans la prairie » (17 minutes).