DUNE

Etats-Unis – 1984
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Science-Fiction
Réalisateur : David Lynch
Acteurs : Francesca Annis, Kyle MacLachlan, Sting, Silvana Mangano, Jürgen Prochnow, Freddie Jones, Virginia Madsen, Patrick Stewart, Dean Stockwell, Sean Young, Brad Dourif, Max Von Sydow…
Musique : Toto, Brian Eno
Image : 2.35 16/9
Son : Anglais DTS HD Master Audio 5.1 et 2.0, Français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 137 minutes
Editeur : ESC Editions
Date de sortie : 18 juin 2025
LE PITCH
An 10191. Deux clans, les nobles Atréides et les belliqueux Harkonnen, se disputent la planète Arrakis, précieuse parce que son sous-sol renferme la substance la plus rare de l’univers : l’Épice. La guerre fait bientôt rage sur ce sol hostile, rendu plus dangereux encore par des vers monstrueux que, selon une prophétie, le jeune Paul Atréides doit soumettre. S’il y parvient, il aura gagné à sa cause les Fremen, le peuple des sables dans l’attente de son sauveur.
Les hérétiques de Dune
Alors que les spécialistes autoproclamés s’étripent pour évaluer le niveau de trahison du diptyque de Denis Villeneuve, une nouvelle édition du film maudit de David Lynch vient rappeler que la fidélité ne fait pas seule un grand film. Tout est une question de proportion.
C’est le seul film dont il disait avoir perdu le contrôle et ce fut longtemps une œuvre presque honteuse, rejetée par les fans du romans, incomprise par les spectateurs et dénigrée par les cinéphiles qui n’y voyaient qu’une affreuse commande au service du roublard Dino De Laurentiis (Conan le Barbare, le remake de King Kong, Flash Gordon). Une simple commande en effet accepté par un David Lynch encore très jeune, à l’identité un peu incertaine après l’expérimental Eraserhead et la reconnaissance spectaculaire du très beau Elephant Man (merci Mel Brooks), qui y voyait justement une opportunité pour se consolider auprès du grand public et une première marche vers un projet plus personnel qui deviendra Blue Velvet. Un univers SF d’autant plus loin du sien que cette adaptation traine ses guêtres dans les coulisses d’Hollywood depuis les années 60. Un temps envisagé sous la houlette d’Arthur P. Jacop (La Planète des singes) et David Lean (Lawrence d’Arabie), puis métamorphosé en manifeste psychédélique et pharaonique par le délirant Alejandro Jodorowsky (ce rêve improbable a même eu le droit à son documentaire), il venait tout juste d’être abandonné par un ambitieux Ridley Scott (dont le Alien était déjà né des cendres du film de Jodo) lorsque Lynch en récupère le lourd et précieux fardeaux.
Les Enfants de Dune
Une machine fastueuse au casting royal et un budget glorieux, Dune est dès le départ une œuvre malade traversée constamment par les fantômes de ces multiples films avortés dont on perçoit encore et toujours la trace au grès des plans, des designs ou des dialogues. Pas étonnant que le jeunes cinéaste, à peine sorti de multiples réécritures du nouveau scénario, se soit rapidement senti écrasé sous le poids de la tâche, perdu entre les multiples équipes de tournages, de goûtant que très peu à la préparation des effets spéciaux “spatiaux” et autres impératifs à régler en post-production, préférant largement rechercher une récréation des sensations, des visions mystiques et poétique de Frank Herbert plutôt que son exploration complexe et incroyablement détaillée d’un futur aussi politique que baroque. Lynch bâcle clairement la mise en place de la grande bataille finale qui aurait dû être un morceau de bravoure épique, pour accumuler des plans étranges, des photographies improbables de l’espace, de goutte d’eau et de créatures mutantes, ajoutant des détails grotesques dans les décors (en particulier du coté Harkonnen), quelques idées totalement déviantes au service d’un décorum SF beaucoup plus opératique, voir rococo, que réaliste et crédible.
La Maison mère
La crédibilité n’est pas le souci de Lynch tout comme la trame du film qu’il fait voler en éclat autant par une nécessité de temps (le bouquin est une fois encore extraordinairement vaste) que par instinct personnel. Les personnages secondaires vont et viennent d’un premier plan à un arrière-plan sans explication et surtout la destinée de Paul Atréide, voué à devenir un dieu vivant, se constituant ici par scènes clefs plutôt que par une gradation logique et fluide. Le cinéma de Lynch était déjà une affaire de sensation, d’étrangeté, de mystères et d’aspérités, et même en ajoutant des voix off supplémentaires (omniprésente dans le livre, et dans le film) et une narratrice venant carrément évoquer des pans dramatiques entier mis de côté, ce Dune préserve sa nature intangible, esquissé, comme conscient lui-même qu’il n’est qu’une petite porte ouverte sur une fresque beaucoup plus grande. Film définitivement malade, charcuté et greffé de toutes parts, tiraillé entre l’identité du cinéaste, les attentes du producteur et les standards du space opera contemporain, le Dune unique à un pouvoir de fascination particulier dans l’histoire du cinéma moderne, réussissant en se débarrassant du détail, du mot de Herbert, il en retrouve la voix, le son : un entremêlement de pensées, des cris devenant des armes meurtrière, des voyages spatiaux décrits comme des rêves éveillées qui offrent le pouvoir et des mythes qui prennent corps : « le dormeur doit se réveiller ». Et après y en a qui vont nous dire que ce n’est pas un film lynchien…
Image
Reprenant la toute récente restauration 4K produite par Koch Films et Arrow Video en 2021, ESC dispose ici un master d’excellente qualité. Conçu à partir d’un scan 4K des négatifs originaux nettoyé, stabilisé et réétalonné, Dune s’assure une seconde vie assez impressionnante. On ne pourra pas manquer quelques plans composites un peu moins bien tenus et des segments sombres marqués par un grain pulsé, mais le dispositif assure une définition totalement inédite pour ce film venant souligner l’univers (costumes, décors délirants, travail sur les couleurs et les textures…) comme jamais. Même les séquences à effets spéciaux s’intègrent parfaitement dans le tableau, sans flous perturbants ou délimitations trop voyantes. Le film préserve sa rugosité, sa patine très 80’s, mais se dote aussi d’un traitement Dolby Vision qui sans dénaturer l’esthétique du film y ajoute une intensité plus notable sur le fameux bleu des yeux des freemen, sur les panneaux verts qui façonnent le monde Harkonnen, et plus généralement des dégradés fluides et élégants. Un excellent compromis entre un master nouvelle génération et un respect total du film source, dans toutes ses aspérités.
Son
Pour les puristes, l’éditeur a eu heureusement la bonne idée de fournir la stéréo d’origine, restaurée, en DTS HD Master Audio pour un résultat tout à fait fluide, claire, vif et équilibré. Mais on retrouve aussi une prestation DTS HD Master Audio 5.1 plus en adéquation avec les attentes et les installations actuelles. S’il faut reconnaitre que quelques effets de distances dans les dialogues peuvent s’avérer curieuses, la musique s’offre une nouvelle dimension très appréciable, et les ambiances sonores, surtout, gagnent en puissance, en particulier sur les basses, vrombissantes et omniprésentes.
Interactivité
Le coffret cartonné avec livret ayant été sold out en quelques jours, il reste tout de même aux fans de Dune la belle opportunité de se tourner vers le steelbook, toujours designé par le doué Colin Murdoch, qui contient les trois mêmes disques : une copie UHD et deux disques Bluray comprenant chacun un montage du film et de nombreux bonus pour la plupart inédits.
Le retour de la version longue était d’ailleurs très attendu après une apparition en 2008 sur le DVD « Ultimate » d’Opening avec cette fois-ci une copie HD bien plus solide, affichant la bonne colorimétrie et une source 2K soignée et convaincante. L’occasion de redécouvrir cette mouture là encore montée sans l’aval du cinéaste et imaginée par un studio Universal qui s’efforçait de revenir dans ses frais pour une diffusion télévisé évènement sur deux soirées consécutives. Le changement le plus évident est l’adjonction des scènes autrefois écartées par le réalisateur comme le combat entre Paul et le freemen Jamis ou la démonstration de création de l’eau de vie, qui apportent certes des informations inédites sur le fonctionnement de l’univers de Franck Herbert mais qui alourdissent aussi fortement le rythme. Car c’est bien là les gros problèmes de cette version de trois heures : le rythme. A force de rajouter des séquences inédites, parfois creuses (en tout une petite trentaine de minutes), mais aussi en multipliant les plans d’inserts, en réutilisant à outrance des séquences d’action pour faire plus épique, le film perd totalement sa force hypnotique et se transforme en une simple minisérie à l’américaine. La première critique que dû souffrir Lynch à la sortie de son film fut le manque d’accessibilité. On imagine alors très bien les producteurs embarrassés devant cet étrange film de science-fiction lyrique, aboutissant par le remplacement de la narratrice du film (Virginia Madsen qui tient le rôle de la princesse Irulan) par une voix off de baryton, ultra didactique et sans poésie aucune. L’ouverture du film est ainsi entièrement modifiée, ABC préférant une longue énumération de l’organisation géopolitique de Dune – à grands renforts de dessins de production et de couvertures du livre – plutôt qu’un monologue en suspension, déclamé par un visage de femme sur fond d’étoiles (et qui créait un lien indéniable avec la conclusion d’Elephant Man). Crédité au nom d’Alan Smithee cette version longue est nettement inférieure, mais reste bien entendu très intéressante à titre de bonus.
Une section supplément qui est loin de s’arrêter là puisqu’en plus de proposer à nouveau la petite interview promotionnelle mais plutôt intéressante sur l’adaptation de l’œuvre d’Herbert et la gestion d’un budget de Blockbuster par un jeune David Lynch et un petit making of d’époque très consensuel mais avec quelques images de tournage à la clef, ESC traduit une partie du matériel anglais avec un sujet très complet et plutôt poussée sur la construction de la bande originale, l’implication de Toto et Brian Eno, les atmosphères sonores et l’utilisation des synthétiseurs, et un autre tout aussi réussi sur l’étonnant catalogue de produits dérivés (lunchbags, comics, figurines…) qui accompagnèrent la sortie du métrage. Le maquilleur italien Giannetto de Rossi se remémore de son côté son arrivée sur le projet et sa rencontre avec le cinéaste, qu’il appréciait fortement autant pour sa gentillesse que sa créativité, développe quelques techniques utilisées et n’hésite pas à faire porter le poids de l’échec du film sur les épaules de Dino de Laurentiis. Mais l’item central est certainement le documentaire « Le Dormeur doit se réveiller » making of rétrospectif de 80 minutes retraçant de A à Z (des tentatives avortées à la sortie décevante en salles) toutes les étapes de fabrication du film à grands renforts d’interviews inédites de spécialistes, de divers techniciens, acteurs, mais aussi de nombreuses archives comme celle de Frank Herbert. Bourré d’informations, de croquis, illustrations et images des coulisses, le doc a la particularité de reposer uniquement sur des éléments audios. On regrettera ici tout de même l’absence du segment Impressions of Dune, datant de 2003, plus classique dans sa confection mais profitant de rencontre face caméra avec Kyle MacLachlan, Raffaella de Laurentiis ou Freddie Francis.
Rayon local cependant l’éditeur français a proposé aux deux journalistes Llyod Chery (Le Point) et Simon Riaux (Ecran Large, Le Cercle) d’enregistrer une conversation autour du Dune de David Lynch. Plutôt que de nous rejouer la compilation d’informations déjà connues (et visibles sur les autres bonus), les deux intervenants préfèrent échanger sur les réussites et les échecs du film, y chercher la place d’Herbert et de Lynch, le traitement des enjeux politiques, le comparer au diptyque de Villeneuve et à la série Prophecy, aboutissant à un moment détendu mais très sympa et souvent pertinent.
Liste des bonus
Le Blu-ray du film en version longue alternative TV (HD, 177’), « Le Dormeur doit se réveiller » : documentaire sur la fabrication de Dune (81’), Entretien croisé avec Llyod Chery et Simon Riaux (45’), « La Prophétie s’est accomplie : Composer Dune » (24’), « Par-delà l’imagination : Le merchandising de Dune » (22’), « Un autre monde » : Entretien avec le maquilleur Giannetto de Rossi (17’), « Artworks by Colin Murdoch » (5’), Interview de David Lynch (1985, 8’), « Destination Dune » : featurette d’époque (1983, 6’), Galerie photos : coulisses, affiches et jaquettes vidéo, Bandes-annonces.