DEMENTIA
Etats-Unis – 1955
Support : Bluray
Genre : Fantastique
Réalisateur : John Parker, Bruno VeSota
Acteurs : Adrienne Barrett, Bruno Vesota, Ben Roseman, Richard Barron…
Musique : George Antheil
Durée : 56 minutes
Image : 1.33 16/9
Son : Musique Dolby Audio mono
Sous-titres : Aucun
Éditeur : Potemkine
Date de sortie : 17 mai 2022
LE PITCH
Une jeune femme s’éveille d’un cauchemar dans la chambre d’un hôtel miteux. Elle quitte l’hôtel et erre dans les rues de Los Angeles en pleine nuit. Sa déambulation l’amène à faire des rencontres de plus en plus étranges. La frontière entre rêve et réalité s’amenuise à la faveur des hallucinations et de la paranoïa.
Wild at Heart
Pellicule improbable qui aurait pu définitivement disparaître dans l’oubli si un producteur mal intentionné ne lui avait pas offert un éclairage inattendu ou si quelques décennies plus tard John Waters n’en avait pas fait une publicité passionnée, Dementia est une œuvre unique, avant-gardiste, délire lynchien avant Lynch.
Curieux voyage que celui de Dementia né de l’ambition d’un jeune fils d’exploitant de salle, John Parker, qui après avoir emprunté le budget à sa mère, décide de mettre en image le cauchemar raconté par sa propre secrétaire. Pour des raisons de budget c’est d’ailleurs elle qui incarne le rôle principal, et c’est pour les mêmes raisons que la petite équipe opte pour un tournage sans prise de son et en extérieurs (et non en studio comme c’était communément le cas) dans les rues de Venice, cinq ans avant le splendide La Soif du Mal d’Orson Welles. Les deux films partagent d’ailleurs quelques plans très proches de cette ville bouillonnante et un peu hors du temps, superbement célébrée ici par la photographie noir et blanc de William C. Thomson, chef opérateur daltonien du célèbre Ed Wood. Ça ne s’invente pas. D’ailleurs, sans jamais quêter sur le chemin du cinéma d’exploitation ou de la série B, Dementia partage avec l’œuvre du créateur de Plan 9 From Outer Space, une même et éclatante envie de cinéma total. D’où certainement cette volonté de ne jamais atténuer son propos ni son étrangeté, et de passer largement outre les petits contours fauchés. Très inspiré par les symboliques de la psychanalyse (freudienne ou autre), le film s’engouffre donc dans les songes plus ou moins effrayants d’une simple jeune femme, appelé « la Gamine » dans le générique, hanté par des silhouettes masquées, s’imaginant devant pousser la chansonnette sur scène, mais aussi revenant constamment à la présence d’un père alcoolique et violent (le même acteur joue d’ailleurs aussi la figure du policier), d’une mère aux allures de mère maquerelle, jouant les mélodrames sur le gazon d’un cimetière. Une sorte de trauma lié à l’enfance, mais jamais totalement inexpliqué, qui contamine l’environnement, venant révéler un monde moderne irréel, inquiétant, en particulier pour les femmes, ici battues, harcelées, humiliées, possédées comme des objets, attaquées sexuellement voir assassinées dans un cycle infernal.
Dream within a dream
Un délire onirique, fantomatique qu’il peut être amusant d’analyser et décortiquer, mais qui reste beaucoup plus puissant si on se contente de le ressentir, et d’observer, fasciné, ses déambulations libres entre déhanchés jazz et musiques expérimentales faites de voix lyriques et de bruitages dissonants (signés par le grand compositeur George Antheil tout de même), dont la beauté de certains plans, les accélérations du montage et le réel perturbé annoncent clairement le cinéma de David Lynch, et en particulier un certain Eraserhead. Très en avance sur son temps, Dementia aura bien de la peine à se trouver un distributeur et à passer le cap de la censure et sera finalement bazardé sur les écrans d’une seule salle quelques jours à peine. Il faudra étonnamment attendre qu’un certain Jack Harris, célèbre producteur de série B pour drive-in et double programme, n’en reprenne les droits, le remonte légèrement et y ajoute une voix off censée expliciter ce qui se déroule à l’écran pour que le film s’offre un second souffle sous le titre Daughter of Horror. Il faut dire que malin, le producteur en projette directement un extrait dans l’un de ses plus beaux succès : le fameux The Blob, alias Danger Planétaire avec un McQueen débutant. Mais le film ne sera finalement vraiment redécouvert que dans les années 70 lorsque John Waters, médusé, en fera l’un des incontournables du programme des fameux Midnight Movies, lui donnant des atours de classique de la contre-culture, de délire visionnaire, voir subversif. Une destinée bien alambiquée pour un petit film de moins d’heure heure constamment au bord de la folie.
Image
Toute récente, la restauration effectuée à partir d’une source 35mm a permis, comme le montre la mini featurette glissée dans les bonus, de sérieusement stabiliser l’image tout en faisant disparaître un grand nombre de taches, griffures et autres aléas de l’âge. Quelques traces persistent mais restent discrètes. La définition est elle aussi une très bonne surprise avec un détail bien présent, un grain encore marqué mais jamais envahissant et des argentiques très élégants. Reste la question de l’étalonnage qui a choisi de creuser les noirs, délaissant la photographie un peu délavée d’autrefois, quitte parfois à écraser un peu certains arrière-plans. Mais esthétiquement le résultat est là.
Son
La piste sonore d’origine a elle aussi été restaurée assurant une restitution fidèle et claire. Pas de dialogue sur la version première du film, composée uniquement de bruitages et de musiques où les voix hantées s’incarnent plus que jamais.
Interactivité
Encore une jolie édition signée Potemkine qui fait un peu mieux que les cousins américains. On retrouve comme pour eux le petit comparatif avant / après de la restauration et surtout la version d’exploitation de Dementia, à savoir Daughter of Horror avec sa voix off sentencieuse et assez fumeuse, et ses petites coupes bien prudes, dans une copie moins fringante mais honorable. A cela s’ajoute en exclusivité une sympathique petite présentation du film par monsieur Joe Dante, hérité de son fameux site Trailers from Hell, suivi d’une analyse beaucoup plus complète rédigée par Maxime Lachaud. Si le côté « texte lu » donne un ton un peu laborieux, les éléments soulignées et le retour sur le destin compliqué et particulier du film, restent très intéressant.
Liste des bonus
Présentation de Joe Dante (2’), « Dementia, entre avant-garde et exploitation » (12’), « Before and After : Restoring Dementia » (3’), « Daughter of Horror » : version d’exploitation du film avec voix off (1955, 55’ VOST).