KAAMELOTT – PREMIER VOLET
France – 2021
Genre : Comédie
Réalisateur : Alexandre Astier
Acteurs : Alexandre Astier, Lionel Astier, Alain Chabat, Guillaume Galienne, Christian Clavier, Anne Girouard, Sting, Thomas Cousseau…
Musique : Alexandre Astier
Durée : 120 minutes
Distributeur : SND
Date de sortie : 21 juillet 2021
LE PITCH
Le tyrannique Lancelot-du-Lac et ses mercenaires saxons font régner la terreur sur le royaume de Logres. Les Dieux, insultés par cette cruelle dictature, provoquent le retour d’Arthur Pendragon et l’avènement de la résistance. Arthur parviendra-t-il à fédérer les clans rebelles, renverser son rival, reprendre Kaamelott et restaurer la paix sur l’île de Bretagne ?
Une symphonie
« BIENTÔT, Arthur sera de nouveau un héros », promettait le dernier plan de l’ultime saison de Kaamelott. Question de point de vue : une décennie s’est écoulée et les déboires d’Alexandre Astier, créateur et maître d’œuvre, pour récupérer en totalité les droits de son bébé et financer exactement le film qu’il avait en tête se sont enfin soldés pour accoucher du résultat que voici.
Avant toute chose, il est temps de poser un postulat malheureusement trop absent de tous les discours lus ou entendus sur la saga : l’œuvre-maîtresse (actuellement et sans doute pour longtemps) de la carrière d’Alexandre Astier n’est absolument pas une « parodie » ou un « détournement » des chroniques arthuriennes et de la légende d’Excalibur, mais simplement une nouvelle itération de la légende, avec ses apports, ses retraits et sa tonalité propre – dont l’humour, entre autres, est une composante. On en pensera ce qu’on veut, Astier a plus à voir avec Mallory ou Chrétien de Troyes dans sa démarche qu’avec les Monty Python. Ceci dit, l’humour étant la chose la plus clivante du monde et les fans de la série se partageant déjà entre amateurs de blagues développées à l’envi, et spectateurs d’un drame qui prenait de l’ampleur à chaque nouvelle saison, ce n’est pas ce film qui convaincra davantage les uns et réconciliera enfin les autres. Peine perdue si l’on en est encore à juger de la qualité de Kaamelott en fonction de sa drôlerie (il faut d’ailleurs bien reconnaître que même les fans les plus acharnés finissent par rire un peu moins, au cinquantième visionnage, c’est donc qu’il y a autre chose à manger dedans). Peine perdue également si l’on attend un grand film de fantasy qui concurrencerait Ridley Scott : homme de théâtre, Astier ne fait pas mystère de sa fascination pour les comédiens, de son envie de rigueur dans l’écriture (encore y’a-t-il ici une ou deux ellipses assez osées), mais également du peu de goût personnel qu’il manifeste envers l’écriture de la caméra ; c’est à prendre ou à laisser, la mise en plans de la série était la plupart du temps tout juste fonctionnelle et ne se permettait que de rares fulgurances esthétiques : il en ira de même dans ce film.
Ce n’est pas dans la virtuosité du cadrage ou du mouvement que l’ambition du projet se fait jour. Pourtant cette ambition existe bien. Reprenant à l’époque la case de l’émission Caméra Café chez M6, Astier n’avait pas vraiment le choix des armes et dut longtemps se contenter de vignettes bricolées, rapides, efficaces, économes. Jusque dans la musique qui tient pour lui une place prépondérante. On sentait néanmoins un grand sens du gimmick dès les trois attaques cuivrées qui ouvraient chaque épisode comme les trois coups frappés au théâtre avant le lever de rideau, et un vrai talent pour la dramatisation musicale avec les quelques thèmes-clés émaillant les deux dernières saisons, plus narratives. Ici, on retrouve les trois coups inauguraux, des évocations plus ou moins discrètes des thèmes en question, mais surtout l’ampleur bien réelle de l’orchestre qui fait sonner tout cela comme jamais. Et c’est précisément ça, Kaamelott au cinéma : un « gonflage » de la série dans un format plus ample, qui n’en change ni n’en trahit aucun élément, mais leur donne un impact et une ouverture inédite, finalement plus proches des bandes dessinées bien connues des fans dans lesquelles la légende s’exprime d’une manière, disons, plus libre et plus stimulante : Astier n’a jamais autant utilisé l’humour que comme une simple mécanique rythmique tout juste destinée à cimenter ses préoccupations réelles ; les contrechamps des attaques régulières par les « envahisseurs » (jamais filmés dans la série, qui faisait de cette absence une force) sont désormais montrés ; la forteresse de Kaamelott est enfin visualisée dans de grands plans d’ensemble ; des destins continuent de s’accomplir peu à peu avec un panache accru (Merlin en cartographe éclairé ; un duc d’Aquitaine beaucoup moins dans la lune qu’on pourrait le croire – formidable Alain Chabat…) ; les jeux du pays de Galles se disputent en grandeur nature, et cetera. Ce premier volet est ni plus ni moins que la version « grand orchestre » de ce qui n’était en quelque sorte qu’une maquette élaborée sur un solide logiciel de composition avec des sons samplés. Mais quelle partition joue-t-il exactement, ce grand orchestre ?
Le retour du chevalier Jedi
Les obsessions d’Astier commencent depuis longtemps à se dessiner clairement, surtout après l’écriture de deux Astérix animés et la réalisation de David et madame Hansen pour le cinéma : les impasses de la communication, les difficultés à composer avec son environnement familial, l’importance de la transmission d’un héritage (génétique, manuel ou intellectuel), les souvenirs et les rêves comme réanimateurs des consciences perdues… et George Lucas ! L’univers d’Astier grouille, à sa manière, de sabres laser, de Force et de Jedis ; il ne serait pas fastidieux de filer la comparaison pour décrire ce à quoi on a affaire ici. Outre les citations évidentes à Star Wars, ce qui vient directement de Lucas chez l’auteur de Kaamelott est une façon d’écrire synthétique reposant sur de nombreux montages alternés où s’entrechoquent les picturalités, un mélange des genres – ou plutôt une combinaison d’univers esthétiques – parfois très brutal, une maîtrise du point tonal de chaque séquence (si la caméra est souvent timide et semble parfois aléatoire dans ce premier volet, il n’en va pas de même pour les couleurs, textures, musiques et décors), et une convergence des flux qui aboutit peu ou prou à la même façon de boucler le métrage. Du reste, c’est moins ici vers le Lucas de la première trilogie (mythique, acceptée, intouchable) que lorgne Astier, que vers celui de la seconde (conspuée pour ses scripts déroutants, ses nouveaux personnages qui passent pour des fautes de goût, sa tonalité hiératique et sa patine artificielle). Déroutant, le script l’est, faisant l’impasse sur des personnages pourtant essentiels, en laisse un grand nombre dans des emplois de troisième plan, et en présente de nouveaux, moteurs d’une multitude de sous-intrigues apparemment dérisoires alors que les grandes questions en suspens ne sont, pour la plupart, toujours pas traitées ou résolues – Lancelot restant, dans cette version, l’éternel antagoniste patinant dans le ressentiment.
Mais surtout, comme George Lucas, Alexandre Astier se plaît à filmer le désordre : à celui de la communauté Ewok ou des maladroits Gungans chez le réalisateur de La Menace Fantôme répond ici celui des balistaires désorganisés, du « Robobrole » proposé par Perceval pour permettre à Arthur de redevenir ce qu’il fut jadis, ou encore d’une corde traînant négligemment par terre dans laquelle le seigneur Karadoc risque de se prendre les pieds. La piètre armée Burgonde (les Ewoks d’Astier, en quelque sorte) est peut-être la vraie ligne de force d’un film qui nous dit – entre autres choses – qu’il y aura toujours plus à tirer d’un désordre qui swingue que d’un ordre parfait dans lequel aucune « musique » ne résonne. Comme l’Empire Galactique de Star Wars dirigé par un fin stratège, ou les armées droïdes impeccablement alignées de la fédération du commerce, peuvent être mis en difficulté par le grain de sable inattendu de peluches apparemment inoffensives ou d’un Jar-jar qui brasse de l’air en tentant de fuir, Lancelot et ses conseillers prisonniers de leur salle du trône froide et géométrique n’imaginent pas avoir à craindre l’armée si peu tacticienne du roi Burgonde (sorte de gros bébé qui répète inlassablement les mêmes phrases sans les comprendre) et ses armes de jet enchevêtrées dans tous les sens, pas plus qu’un obscur jeu gallois incompréhensible ou une ribambelle d’anciens chevaliers incompétents et fatigués. L’énergie inattendue de la maladresse est essentielle ici. C’est d’ailleurs pour cela que le réalisateur s’interdit toujours de céder au lyrisme facile sans désamorcer ses élans par quelque chose de grinçant, de boiteux, même s’il montre à plusieurs reprises que dans l’absolu, il pourrait très bien s’y complaire efficacement. Depuis les débuts de Kaamelott, Astier peint la Table Ronde comme une congrégation de bras cassés promis à la quête la plus noble et ardue qui se puisse imaginer. La lumière du Graal est pour tous (c’est là le point de départ de la discorde entre Arthur et Lancelot, après tout – si l’on excepte la convoitise de ce dernier pour Guenièvre), et à tous il est donc permis de se révéler : les simples d’esprits, les incompétents, les enfants, même les lâches… et même l’armée d’invasion la plus improbable qui ait jamais sillonné la Bretagne.
Parti d’un court-métrage, l’aventure Kaamelott devenue gargantuesque et multimédia sera sans doute, à tout jamais, dominée par les six saisons de la série télévisée qui composent, dans leur genre, une expérience sans équivalent. Les aspects esthétiques un peu plus brinquebalants que les autres n’entachaient rien de la magnifique progression du récit et de la démarche créative. Au cinéma, c’est autre chose : laisser la caméra sur le bas-côté est sacrilège et, de ce point de vue, le film tend le bâton pour se faire battre. On comprendra les réserves sur ce point, sans pour autant les partager vraiment tant le contenu est là en dépit des petites faiblesses assumées. « BIENTÔT, Arthur sera de nouveau un héros » ! Question de point de vue !… Mais ça valait le coup d’attendre un peu – et de continuer.