ORSON : WELLES, L’ARTISTE ET SON OMBRE
France – 2024
Genre : Biopic
Dessinateur : Youssef Daoudi
Scénariste : Youssef Daoudi
Nombre de pages : 272 pages
Éditeur : Delcourt / Mirages
Date de sortie : 25 septembre 2024
LE PITCH
Après avoir excellé au théâtre et à la radio, Welles débarque avec fracas à Hollywood en réalisant son premier long-métrage en 1941 : Citizen Kane, l’un des chefs d’oeuvres du cinéma. Mais, très vite, il va connaître de nombreux revers et découvrir le prix à payer pour son génie, sa célébrité précoce, son indépendance farouche et son sens de la tragédie Shakespearienne.
Imprimez la légende !
Après le grand récit de boxe, avec en filigrane une vision pertinente de l’Amérique des du début du XXeme siècle, Youssed Daoudi s’attaque de manière inédite à la figure légendaire du cinéma : Orson Welles. Un cinéaste, un acteur, un dramaturge, un artiste jusqu’au bout du cigare livré ici à une auto-analyse brillante et intensément graphique. De la grande BD.
Oui, oui, Orson Welles c’est le jeune golden boy qui aura conquis Hollywood avec une carte blanche inédite qui donnera naissance à ce qui est encore et toujours considéré comme LE chef d’œuvre de l’histoire du cinéma : Citizen Kane. Sauf qu’il y avait bien entendu un avant, entre une enfance de petit prodige, des débuts au théâtres qui ont révolutionné la scène américaine (entre autre avec son Jules César revu à la sauce nazi), des performances radios ultra populaire (dont le fameux La Guerre des mondes) et surtout un après, longue et interminable bataille entre un homme qui ne pense qu’à créer, quel que soit les moyens et les contraintes, et une industrie du cinéma de plus en plus frileuse face à l’égo du bonhomme et des visions qui ne se conjuguent que bien difficilement avec la raison économique. Orson vs Hollywood pourrait être le sous-titre de cet album de trois cents pages plein à craquer d’épisodes plus ou moins connus de sa vie, de déclarations à l’emporte-pièce, d’éléments intimes et publiques dont la personnalité du dramaturge semble constamment sur le point de s’évader. Car tout est toujours trop petit, trop étriqué, pour Orson Welles. Un régal pour les cinéphiles, qui peuvent ici revivre des bribes des tournages de La Splendeur des Amberson (entièrement remonté par les producteurs), de son gothique Hamlet, de son admirable tentative de retour au film noir avec La Soif du mal (entièrement remonté par les producteurs), de son gargantuesques Falstaff, jusqu’à bien entendu son inachevé De l’autre côté du vent, avec John Huston constamment alcoolisé, qui ne sera finalement achevé qu’en 2018 par des amateurs éclairés.
Son propre procès
Cette notion d’inachevé reste prégnante dans Orson, comme si l’œuvre de sa vie ne pouvait jamais se terminer, sa filmographie ayant été marquée à de nombreuses reprises par des projets se noyant sous les soucis financiers, l’abandon des distributeurs mais aussi peut-être l’inconstance de leur auteur, ses ambitions dévorantes et son incapacité à s’avouer vaincu. Immortel, géant, imposant, bruyant, c’est ainsi que le dessine Youssef Daoudi croisant directement son trait réaliste vu il y a quelques années dans les pages de Mayday ou La Trilogie noire, avec la légèreté et la caricature de la farce Fluide Glaciale Maitres de guerre. Il y a indéniablement quelques choses de la déconstruction narrative de Gotlib ici, une énergie expressive mais précise du compère Jean Solé, dans ce biopic extrêmement libre habillé d’un noir et blanc tranché rehaussé d’impérieux aplats de jaunes où les reconstitutions laissent allègrement place à l’introspection, à l’imaginaire ou l’autofiction sans transition autres que le temps qui passe. L’homme se confond avec ses créations, avec ses personnages, n’hésite pas à surligner ses talents autant que le naufrage d’une carrière où il acceptera les pires rôles et les pires contrats (des pubs, beaucoup de pubs) simplement pour financer des œuvres personnelles que plus personne en Amérique ne veut voir.
La figure de l’artiste maudit, un mastodonte aux pieds d’argile richement et chaleureusement croqué par un artiste du 9eme art qui semble le comprendre comme personne. Pas sûr qu’un film aurait fait mieux.