Un peu plus d'un an après son passage remarqué sur Playstation 3 et Xbox 360, auxquelles il offrait un baroud d'honneur inespéré, Grand Theft Auto V revient sur consoles New Gen, prêt à défier les doutes et réticences d'un public lassé par une récente vague de remakes flemmards. Autant le dire de suite : la paresse est une notion étrangère aux équipes de Sam et Dan Houser.
Nous aurions pu republier ici la critique du jeu original telle quelle, en ne daignant modifier qu'une poignée de phrases. L'intrigue de Grand Theft Auto V n'ayant guère changé (les missions sont identiques, de même que les trois personnages et leurs dialogues fleuris), comment l'aventure aurait-elle pu être modifiée en profondeur ? Croyez-le ou non, si GTA V ne s'éloigne jamais de ses solides fondations narratives, l'expérience du jeu sur consoles New Gen, et en particulier sur Playstation 4, marque une rupture sans précédent avec les habitudes passées de Rockstar ; mieux, le soft semble bâtir une charpente pour ses lointaines séquelles, annonçant en filigrane des expérimentations folles pour les années à venir. N'allez pas comprendre que ce "remake" de GTA V ne se suffit pas à lui-même d'un point de vue ludique, bien au contraire. Techniquement sublimée, l'œuvre se pare aujourd'hui de textures entièrement remasterisées, de protagonistes, bâtiments et véhicules re-modélisés, et s'agrémente de toute une foule d'améliorations tantôt ostentatoires (la gestion hallucinante de la lumière et de la physique, l'augmentation du trafic routier et du nombre de piétons, le traitement photoréaliste de la végétation et de l'eau), tantôt subliminales (un exemple parmi un milliard : une bannière "à vendre" étendue sur un magasin n'était qu'une texture plaquée sur Old Gen ; il s'agit désormais d'un modèle géométrique à part entière, qui remue en fonction du vent !). En découle la sensation d'arpenter un univers incroyablement vivant, dynamique et complexe, jusque dans des intérieurs (appartements, maisons, chambres, magasins) dont la richesse visuelle et la résonnance narrative rendrait jaloux le meilleur Production Designer hollywoodien.
Le transfert des sauvegardes de l'ancienne vers la nouvelle génération n'étant réservé qu'au mode Online, sur lequel nous ne nous étendrons pas ici, l'idée de devoir parcourir de nouveau l'intégralité de la campagne solo et d'abandonner derrière soi des dizaines d'heures de méfaits en tous genres aurait pu refroidir les fans. A cet égard, la nouvelle vue à la première personne aurait pu passer pour une maigre consolation, si, justement, cette option ne redéfinissait pas de fond en comble non seulement les principes de la saga de Rockstar, mais aussi et surtout les codes du First Person Shooter, genre malade emprisonné depuis bien trop longtemps dans une logique de blockbuster linéaire et sur-scripté. Il faut ici distinguer un fait important : quand un développeur entreprend de réaliser un jeu d'action en vue subjective, son Game Design est la conséquence de son angle de vue. Et en toute logique, l'angle de vue en vient à dicter la mise en scène et à la limiter dans un espace et une temporalité bien définis. La vue à la première personne de GTA V, à l'opposé, est une conséquence parmi d'autres de son univers complexe ; un outil de plus à l'actif de sa sidérante mise en scène. En cela, l'expérience subjective du jeu n'a pas grand chose à voir avec celle d'un Call of Duty ou d'un Battlefield, puisqu'elle doit absorber l'intégralité d'un système de jeu supposément incompatible avec les conventions du First Person Shooter. Si l'on enchaîne effectivement ici les gunfights les plus épiques, ceux-ci ne sont plus au centre des attentions. Au contraire, ils s'entremêlent avec tous les autres éléments du jeu avec une fluidité sans précédent, avec pour seules limites les frontières d'une carte réellement gigantesque. On se surprend dès lors à effectuer en vue subjective des mouvements jusqu'alors réservés aux jeux à la troisième personne : roulades, sauts très périlleux de toits et toits, vols de voiture au réalisme étourdissant, poursuites à vélo ou à moto, mano-a-mano complexes, etc. Avec, toujours, une prise en compte saisissante du poids du corps (tomber du haut d'un immeuble ne se fait pas à la verticale avec un personnage droit comme un "i", comme dans un FPS classique), et une inventivité constante du côté des animations visibles (mains, armes, jambes, etc.).
Choc esthétique de tous les instants, GTA V version Redux se double donc d'une expérience immersive totalement historique, son nouveau point de vue à hauteur d'homme ayant pour effet bénéfique de rendre l'univers décrit encore plus vertigineux qu'il ne l'était déjà sur PS3 et 360. Rappelant en termes de sensations le premier Half-Life en 1998, cet apport considérable n'est sans doute que l'aboutissement des recherches de Rockstar depuis les premiers épisodes ; ayant toujours dû s'adapter à des contraintes techniques assez cruelles, sans toutefois entamer l'ambition de ses bacs à sable, les développeurs ont enfin eu les moyens de lier l'infiniment grand à l'infiniment petit, sans transition apparente ni bug rédhibitoire. Parfaitement jouable à 99,9% dans sa version subjective (on pourra de toute façon changer de perspective par la simple pression d'une touche, à tout moment), GTA V a dès lors tout du rêve éveillé de Hardcore Gamer, en plus d'offrir l'expérience virtuelle la plus accomplie à ce jour, toutes formes d'expressions artistiques confondues. Pour faire mieux avec GTA VI, les frères Houser n'auront plus qu'à modéliser l'intégralité d'un continent.