Carton surprise de l'année 2022, Everything Everywhere All at Once vient mettre à l'amende une décennie de multiverse timide vendu comme une performance révolutionnaire par la bande Marvel, tout en rappelant, il était temps, l'étendu des talents dramatiques de la grande Michelle Yeoh et du revenant Ke Huy Quan, ancien enfant star des 80's. Un joli coup à trois bandes.
Vendu comme le nouvel El Dorado des blockbusters super-héroïques, le multivers reste pourtant des plus discrets à l'écran, souvent réduit à quelques évocations, bien sagesou juste esquissée, de possibles variations permettant surtout de faire jouer la fibre du fan service en ressortant quelques Spider-Man du placard. Un traitement frustrant et mollasson avec lequel Everything Everywhere All at Once tranche violemment. Pourtant le récit prend effectivement encrage dans une réalité de plus normative (sans doute la nôtre), dans laquelle Evelyn Wang tente de garder la tête hors de l'eau entre la petite laverie familiale, sa famille qui prend l'eau et ses rêves de chanteuse / actrice / écrivaine, forcément inassouvis, plus que jamais mis à mal par un redressement fiscal qui leur pend au nez. Mais ce sont dans ces bureaux froids et impersonnels, dans un brouhaha de chiffres et de condescendances, qu'un Waymond (son mari) venu d'une autre réalité la projette dans une plus grande destinée : sauveuse du multiverse (et des pâquerettes).
Pas de concepts ardus et d'explications sentencieuses, les passages de l'un à l'autre, la transmission de capacités se fait tout autant par des actions les plus absurdes les unes que les autres, que par des effets de montages, de mouvements, des collages et bien entendu quelques effets numériques jamais inutilement démonstratifs. La science-fiction comme un ordinaire vertigineux que les Daniels, déjà responsables d'un Swiss Army Man hors normes, croise avec le potentiel spectaculaire des films de kung-fu débridés, les trips métaphysiques, la comédie la plus délirante (l'univers aux doigts en forme de saucisses... mais pas que), le mélodrame élégant à la Wong Kar Wai et la chronique familiale, sobre, simple et touchante. Dans ces capharnaüms ininterrompus d'idées plus jubilatoires les unes que les autres, de concepts décalés qui se répondent les uns les autres, et de chorégraphies martiales qui nous vengent de décennies de sous-Matrix au ralenti, Everything Everywhere All at Once semblent bien décédé à embarquer son concept jusqu'au bout de sa logique quitte à tout embarquer sur son passage avec un mélange d'imagination et d'émotion qui fait, presque, toujours mouche. Car le spectacle n'est jamais simplement au service d'un simple divertissement popcorn bradé, mais sait toujours ramener sa dimension narrative à une forme d'essentiel : Evelyn, son mari, sa fille, son père, cellule habitée par les reproches, les non-dits, les actes manqués, mais un amour qui malgré tout perdure et les nourri.
Bête comme choux, mais beau comme tout, la finesse d'écriture des personnages ne tranche pas avec la grandiloquence des voyages interdimentionnels, la joyeuse dinguerie des références et des gags hilarants, mais les alimente systématiquement. Semblant constamment ouverte à plein débit, Everything Everywhere All at Once peut avoir tendance, comme le précédent Swiss Army Man, à glisser vers le trop plein, vers la surenchère du fun et une certaine boulimie, mais il est quasiment impossible de le reprocher aux Daniels tant l'opération relève d'une sincérité totale et permet de délivrer des performances inoubliables. James Lee Curtis est absolument impayable en méchante comptables procédurières tournant au croquemitaine bedonnant. Ke Huy Quan, ex Demi-Lune et Data des Goonies prend enfin sa revanche en démontrant tout l'intensité de son jeu en incarnant tour à tour le mari fragile et tendre, héroïque ou incroyablement séducteur et charismatique. Mais c'est bien entendu Michelle Yeoh, sublimée à chaque plan, qui tient le haut du pavé, autant dans ses performances physiques toujours aussi vives, fluides et gracieuses, qu'en incarnant avec une rare subtilité ce petit bout de femme qui passe d'une incarnation à l'autre (avec des accents méta inratables) avec une candeur totale, mère de famille, épouse et fille pour qui sauver le monde revient à sauver sa propre famille. Finalement le cinéma parfois c'est juste beaucoup, beaucoup, d'amour.





