En collaboration avec la Fnac et sous la supervision bienveillante des critiques et historiens du cinéma Olivier Père et Jean-Baptiste Thoret, Les Films du Camélia offre aux fans de Dario Argento le cadeau qu'ils n'espéraient plus : un luxueux coffret regroupant six chefs d'œuvres du maestro dans des copies restaurées avec soin. La redoutable cohérence des suppléments, entre analyse pointue et nostalgie bienvenue, permet, en outre, de pardonner l'absence de la présente sélection de l'emblématique Suspiria, pourtant très attendu. Autopsie de la bête.
En dépit des légions d'admirateurs et d'un cinéma propice à de multiples visionnages, la France n'a pas toujours à la hauteur des films de Dario Argento. Du moins, en termes d'édition vidéo. Avec l'arrivée du DVD et ses promesses cinéphiles, TF1 Video est le premier à dégainer en éditant entre 2000 et 2001 et dans des éditions très correctes (tant en termes d'image que de packaging, avec la réutilisation des affiches d'origine, chose rare) Suspiria, L'Oiseau au plumage de cristal, Le Chat a neuf queues, Ténèbres et Phenomena. De l'autre côté de l'Atlantique, en revanche, c'est Noël tous les jours grâce à Anchor Bay. L'éditeur mythique, aujourd'hui disparu, multiplie les collectors qui font saliver avec, en point d'orgue, une édition 3 DVD estampillée THX et DTS-ES consacrée à Suspiria et sortie en novembre 2001. Une tuerie cosmique que Wild Side viendra doucement chatouiller dès 2006 avec l'édition la plus complète à ce jour consacrée à Profondo Rosso et en 2007 avec une nouvelle copie de Suspiria exploitée à Cannes Classics et sortie dans un très beau digipack en rouge et noir avec le cd de la bande originale de Goblin. Du très beau boulot malgré une polémique sur la colorimétrie de Suspiria (il est vrai, assez révisionniste) et qui incite le pionnier des éditeurs indépendants d'alors à poursuivre son travail d'archiviste en libérant Inferno, Phenomena, L'Oiseau au plumage de cristal, Le Chat a neuf queues, Quatre mouches de velours gris et Ténèbres. Mais les packagings sont loin d'être renversants et certaines copies trop granuleuses ou carrément ternes. Les bonus, eux, font illusion mais avec le passage au blu-ray, Wild Side se contente d'upscaling basiques sur des galettes qui se révéleront toutes défectueuses, la faute à un pressage douteux. Aux USA et au Royaume-Uni, Blue Underground et Arrow reprennent la couronne d'Anchor Bay et rendent une fois encore le marché de l'import mille fois plus attractif. Et alors que Wild Side se recroqueville sur ses disques vérolés, il faut attendre que Le Chat Qui Fume s'y colle en 2017 avec un double blu-ray (épuisé depuis) de compétition pour le mal-aimé Opera. Les ventes prouvent que la demande existe mais, là encore, le marché est à la traîne. ESC s'engouffre timidement dans la brèche avec la parution très satisfaisante d'Inferno en mediabook et avec un master de qualité (nombreux, les suppléments sont un chouia moins convaincant) et la rumeur de sorties futures ... qui ne viendront jamais, à l'exception de Deux yeux maléfiques, film à sketches coréalisé avec George Romero. À l'été 2022, la toute jeune structure des Films du Camélia organise une rétrospective en deux parties entre juin et juillet mais sans annonce de sorties sur support physique, à contrario, par exemple, des habitudes de Carlotta ou de The Jokers. Les argentophiles, dans le même temps, continue de casser leur tirelire pour les magnifiques coffrets en 4K Ultra-HD de chez Arrow Video qui mettent tout le monde d'accord. Belle surprise donc que ce coffret arrivé juste à temps (et quasiment sans prévenir) sous nos sapins, accompagné du superbe collector d'Extralucid Films venu réhabiliter l'oublié Trauma. Le compte n'y est pas encore mais il est enfin permis de se constituer une collection décente sans aller farfouiller aux quatre coins du globe. Une question se pose désormais : comment aborder, via ce fameux coffret, l'œuvre de Dario Argento en l'absence de Suspiria (pourtant projeté en salles lors de la fameuse rétrospective) ?
Construite autour de détours, d'impromptus, d'envies soudaines (le très rare Cinq jours à Milan), de projets avortés puis repris deux décennies plus tard et de tentatives d'exil (la parenthèse américaine de Trauma), la filmographie de Dario Argento ressemble davantage à un labyrinthe ou à un morceau de free jazz qu'à une ligne droite. Néanmoins, nul ne peut nier le rôle de pivot joué par Suspiria. En s'abandonnant au fantastique le plus baroque qui soit, le maître du giallo effectuait alors sa mue en superstar de l'horreur et poussait le formalisme vers des sommets inattendus. Il y a donc bien eu un avant et un après Suspiria. L'Oiseau au plumage de cristal, Le Chat a neuf queues et Profondo Rosso agissent comme des marqueurs de cet avant qui correspond aux années 70. De critique et scénariste dans les années 60, Dario devient cinéaste visionnaire, l'héritier de Mario Bava et de Michelangelo Antonioni et le nouveau fer de lance de toute une industrie populaire. L'Oiseau au plumage de cristal surprend par sa modernité éclatante. Le Chat a neuf queues, tout en conservant certaines caractéristiques de son prédécesseur, démontre l'aptitude du cinéaste à faire preuve de tendresse (le duo touchant formé par l'aveugle et sa très jeune nièce), d'ouverture d'esprit (le naturel et la franchise de la scène du bar gay) mais aussi d'une cruauté teintée de tragique (quand la notion de déterminisme pousse un homme brillant à l'homicide). Quant à Profondo Rosso, sa virtuosité enfonce le clou quitte à piétiner la logique de l'enquête (ou même la logique tout court) avec une insolence tutoyant le sublime ; sans oublier l'arrivée de Daria Nicolodi dans la vie de Dario et qui va profondément bouleverser la suite de sa carrière.
Sept ans plus tard, en 1982, Argento n'est plus tout à fait le même. Le succès de Suspiria et de Zombie (qu'il a produit et qu'il a remonté à son goût pour la distribution à l'internationale), la drogue et ses déboires avec la Fox autour d'Inferno l'ont poussé dans ses ultimes retranchements. Ténèbres annonce donc la décennie à venir par une espèce de retour aux sources (le giallo), une agressivité qui flirte avec la misanthropie et une croyance décuplée dans la puissance du langage et de la magie du cinéma. Sans le génie et la folie d'Argento, Ténèbres serait ridicule. Ses idées de mise en scène suffisent à transformer ce giallo nihiliste en démonstration de force et en tableau macabre et dément. Phenomena et Opera pousseront les curseurs de la poésie, de l'expérimentation et de la méchanceté encore plus loin, toujours plus loin, sans jamais avoir peur du ridicule ou du saugrenu, comme ces explosions de hard rock qui traversent la bande originale en dépit du bon sens et du bon goût, comme ce chimpanzé préparant sa vengeance un rasoir à la main, comme ces vues subjectives d'insectes ou de corbeau, comme cet assassin pervers qui simule sa mort et trompe la police à l'aide d'un mannequin (!) ou encore ces plans montrant un cerveau en pleine convulsion. Argento ose presque tout et sa communion avec la caméra et sa foi totale dans son art lui permettent de s'en tirer à tous les coups (ou presque). Accusés - et pas forcément à tort - de verser dans un grand n'importe quoi, ces deux derniers films n'en demeurent pas moins les deux derniers véritables chefs d'œuvres du maestro et les excroissances brillantes d'un cinéma populaire italien vivant ici ses dernières heures.
Là est la beauté de ce coffret : réconcilier Dario, le jazzman des années 70, et Argento, le kamikaze des 80's, dans un grand écart audacieux mais finalement payant.






