Parti en croisade contre les publicités et le monde de la télévision jusque dans les tribunaux, Federico Fellini enfonçait un peu plus le clou en 1986 avec Ginger et Fred. Une charge acide et désabusée qui permettait de réunir pour la première fois le formidable duo Giulietta Masina et Marcello Mastroianni.
Lorsque sort Ginger et Fred en 1986, le cinéma italien subit déjà son long déclin depuis la fin des années 1970 après un âge d'or de plus de vingt ans. Entre la concurrence du cinéma américain et le nombre de films produits qui chute de moitié, la télévision et son représentant omnipotent Silvio Berlusconi ont également leur part de responsabilité. Ulcéré par le traitement des films, dont les siens, sur les chaînes de la Rai avec moult pages de publicités, Federico Fellini avait d'ailleurs intenté un procès à la chaîne et son président en 1984.
Procès finalement perdu en 1985 pendant la réalisation de Ginger et Fred... Assisté par Tonino Guerra au scénario, Fellini règle ses comptes avec le petit écran en envoyant deux représentants de la « vieille école », un couple de danseurs, dans l'abîme du sensationnalisme et de la marchandisation. Visionnaire et lucide sur l'impact de la télévision sur les masses, le film nous décrit aussi son époque en nous présentant une Rome grise et sale, où les poubelles fumantes et les panneaux publicitaires sont omniprésents..."
Satire cinglante parfois vulgaire certes, le film heureusement garde un peu de la magie, de cette poésie douce-amère qui anima le cinéma de Fellini. Notamment grâce à la réunion de deux habitués de sa filmographie qui n'avaient pourtant jamais tourné ensemble : Giulietta Masina, qui n'avait plus joué dans un film de son mari depuis 1965 et Juliette des esprits, et Marcello Mastroianni. Tels deux clowns tristes, ils symbolisent un ancien monde en voie d'extinction, celui des arts vampirisés par le modernisme, en l'occurrence les claquettes. Leur charme désuet se retrouve ignoré de tous et c'est seulement au hasard d'une répétition dans des...toilettes, ou dans l'obscurité lors d'une panne de courant, que l'alchimie fonctionne.
Deux superbes séquences empreintes de nostalgie où l'obscurité demeure le meilleur refuge car de toute façon « la lumière ne reviendra pas »... Ces retrouvailles sonnent aussi comme une forme d'adieu, celui de son réalisateur qui pose son regard mélancolique sur une époque qui l'est tout autant.
Malgré son caractère outrancier, ses décors grandioses et froids (tout Cineccità fut réquisitionné pour le film) et son amertume, Ginger et Fred, sans atteindre les sommets de la carrière de son auteur, demeure une œuvre moderne et visionnaire qui interroge et critique notre propre regard de spectateur.


