Entre le révolutionnaire Mad Max Fury Road et avant le prochain Furiosa, George Miller s'échappe un temps des déserts barbares postapocalyptiques pour se laisser emporter dans les effluves épicées des contes des Mille et une nuit. Une somptueuse déclaration d'amour aux belles histoires et à l'imaginaire.
Reconnu enfin comme le visionnaire qu'il a toujours été grâce à la déflagration Fury Road, George Miller était forcément attendu au tournant, ayant été un temps attaché à une production DC Comics et repoussant plus ou moins volontairement les suites de son univers fétiche (Furiosa dans l'immédiat, The Wasteland un jour peut-être) pour se lancer dans une adaptation inattendue de la nouvelle The Djinn in the Nightingale's Eye de A. S. Byatt. Une transposition référencée des conventions du conte oral dans un contexte contemporain, qui s'inspire de l'orientalisme des Mille et une nuit, mais tisse aussi, à l'instar du film, tout un réseau d'influences, de références que George Miller n'a pas hésité à aborder frontalement comme une réflexion profonde et intime sur la puissance du récit. Celui qui façonne les légendes et l'histoire, celui qui explicite le monde, celui qui nourrit les hommes ou qui parfois leur permet de se raconter et de laisser une trace dans l'univers. Tout cela éclot dans une simple chambre d'hôtel, une rencontre entre une érudite, conférencière sur la portée des grands mythes, âme solitaire et esseulée, avec un djinn échappé d'un drôle de flacon acheté dans un souk d'Istanbul. L'étrangeté touchante de Tilda Swinton face à la carrure plus imposante que jamais d'un Idris Elba tout en coffre et en mélancolie.
Comme une toile blanche sur laquelle va venir se dessiner les récits exotiques et fantastiques de l'être magique, souvenir d'époques peuplées de créatures magiques, de rois, de reines, de guerriers, mais aussi de passions, de quêtes de connaissances, d'amours éperdus et de vœux qui, comme on le sait, apportent souvent le malheur dans leurs sillages. Deux être que tout oppose mais qui se rapprochent inexorablement au cours de leurs échangent, se révèlent par leurs débats autour des notions de destin, de sacrifice, et bien entendu de la nature même des récits. Une œuvre postmoderne mais jamais sursignifiante ou théoriquement démonstrative, où George Miller se permet de renouer avec sa fibre plus légère et ludique aperçue dans Les Sorcières d'Eastwick (revisitant là aussi des figures archi-rabattues pour les incarner dans une farce sociale), voir même avec ses divertissements les plus enfantins comme Babe un Cochon dans la ville ou le diptyque Happy Feet. Trois mille ans à t'attendre n'hésite jamais à embrasser avec générosité la naïveté de son postulat, la candeur des sentiments évoqués et surtout le kitch d'un univers constitué de multiples couleurs, senteurs, univers, comme un gigantesque collage que n'aurait pas renié Terry Gilliam dans ses grandes heures.
Triste et terrible échec en salle, pour ce voyage unique et rafraichissant construit comme une œuvre qui ne cesse de se déployer, de se déplier dans des directions inattendues, de se construire en toute liberté. Un livre d'images qui se feuillette presque tout seul et affirme une nouvelle fois la puissance narrative de George Miller, sa profonde délicatesse et son humanisme pertinent, souvent dissimulés derrière les visions les plus grandioses.



