Ragaillardi par le succès public et critique du superbe Impitoyable, Clint Eastwood délaisse le temp d'un film le giron confortable de sa société Malpaso et de la Warner pour tourner Dans la ligne de mire, thriller impeccable qui ressemble certes énormément à une authentique production Eastwood, mais avec quelques gouttes de sueurs en plus.
Projet qui traine, comme souvent, dans les placards de la Columbia depuis des lustres, Dans la ligne de mire ne prend effectivement vraiment forme qu'à l'arrivée du scénariste Jeff Maguire (A nous la victoire) qui transforme l'agent des services secrets attaché à la protection du président, en figure beaucoup plus faillible, vieillissante, hantée désormais par l'échec de l'assassinat de JFK. Une figure qui forcément séduit énormément Clint Eastwood qui retrouve là ce type de figure charismatique, de modèle américain, professionnel et jusqu'au-boutiste, mais dont les élans conservateurs, les airs de vieux cons, sont régulièrement tempérés par ses jeunes collègues... Et bien entendu une jeune femme séduisante et mordante, capable de lui tenir tête, incarnée avec malice par Rene Russo, tout juste révélée dans L'Arme fatale 3. Un terrain de jeu parfait pour l'ex Harry Calahan qui joue à merveille avec son image d'ancienne icone du polar expéditif, mais qui pousse alors plus loin que jamais la vision des fêlure qui l'habite : Frank Horrigan sue sang et eau en s'efforçant de suivre le convoi présidentiel, un bon gros rhume l'amène à commettre une lourde erreur, sa peur de la mort entraine indirectement celle de son collègue et amis et le vieil ours lâchera même quelques larmes et abandonnera sa carrière pour sa nouvelle compagne. Les temps changent et les dialogues, malins et ironiques, en attestent parfaitement offrant, entre autres, quelques superbes scènes au duo Eastwood / Russo.
Un bel essai pour l'acteur qui trouve ici enfin l'occasion de se confronter à l'excellent John Malkovich avec lequel il espérait collaborer depuis quelques années déjà. Ancien Valmont des Liaisons dangereuses de Stephen Frears, Malkovich incarne ici le négatif du protagoniste, incarnant lui aussi un produit de la politique américaine, en l'occurrence un ancien assassin de la CIA décidé à se venger sur le symbole majeur du pays. Un prédateur insaisissable, efficace, infaillible, magnétique, machiavélique et définitivement inquiétant, qui vient rappeler par son portrait trouble d'un animal programmé et blessé les belles heures des thrillers politiques des 70's. Pas étonnant dès lors d'y retrouver un Ennio Morricone en grande forme, installant une magnifique partition orchestral montant crescendo tout au long du métrage jusqu'à une explosion finale endiablée, quelques part entre ses anciens polars italiens et français et la rythmique implacable des Incorruptibles. Bien écrit, bien interprété, bien calé, Dans la ligne de mire est surtout un sacré morceau du thriller à l'américaine, rigoureusement emballé par le solide Wolfgang Petersen (Das Boot, L'Histoire sans fin, En Pleine tempête, Troie), et ce sans se faire bouffer par la star Eastwood, qui tout en imposant un rythme maitrisé, une tension palpable et un jeu du chat et la souris particulièrement vif, s'efforce constamment de crédibiliser ses personnages, de les inscrire admirablement dans la description éprouvée et inédite des services de protection du présent des Etats-Unis.
Il ne s'agit pas là de signer une révolution dans le genre, d'approcher une présence d'auteur ou de livrer une quelconque analyse politique du système américain, mais simplement de signer un thriller carré, intelligent et efficace. Un pari relevé haut la main et avec une sacrée classe.




