Symbole d'un cinéma américain nunuche et évangélique, Le Lagon bleu et son amourette adolescente sur une île déserte n'a pourtant jamais cessé de s'attirer les foudres de la censure et de critiques morales y voyant forcément quelque chose de douteux et de malsain. Le Paradis perdu est effectivement si dur à retrouver.
Fier réalisateur d'un certain Grease, déflagration populaire et musicale de 1978 sur laquelle on n'a pas fini de danser, Randal Kleiser avait alors en main les moyens pour réaliser un projet qu'il cajolait depuis ses années étudiantes : Le Lagon bleu. Une nouvelle adaptation du roman de Henry De Vere Stacpoole datant de 1908, qui contait le destin, entre aventure à la Robinson, et éveil sentimental, de deux gamins perdus sur une île déserte. L'ouvrage avait déjà connu une version muette en 1923 et une production anglaise en 1949, mais aucune n'avait naturellement préservé tous les aspects profondément naturalistes de l'auteur, se concentrant purement sur une vision idéalisée de la naissance du sentiment amoureux, oubliant discrètement la question du rapport au corps. C'est pourtant là le vrai centre du récit qui s'attache à montrer comment deux enfants détachés du monde dans lequel ils auraient dû grandir, finissent par abandonner certains carcans moraux, acceptant par exemple totalement la nudité de l'autre comme quelque chose de naturel. Même à l'amorce de l'adolescence, alors que leurs corps se transforment et que leurs hormones apportent de nouvelles sensations et de nombreux questionnements, les deux jeunes gens partagent et découvrent conjointement, non sans difficulté, la simplicité et le bonheur de la sexualité.
Sans une once de vulgarité et avec une délicatesse rare, Randal Kleiser accompagne ses deux personnages aussi bien dans leurs belles années d'innocence, dans leurs baignades dans le plus simple appareil, que dans leur passage à l'adolescence puis à l'âge adulte, jusqu'à la confrontation à la grossesse et la parentalité. Soigneusement mis en scène, mais sans réelle prouesses, Le Lagon bleu s'incarne grâce à la superbe photographie de Néstor Almendros dans un paysage paradisiaque. Au sein de cette nature omniprésente et sauvage s'amorce aussi une légère bestialité, écho de ténèbres qui attendent de l'autre coté de l'île où une tribu presque invisible vient faire ses sacrifices sanglants. Des notes de mélancolie, de nostalgie, d'aventure, de sauvagerie et de romantisme qui sied à merveille au compositeur Basil Poledouris (Conan Le Barbare, A La poursuite d'Octobre Rouge, La Chair et le sang...) qui signait là sa première bande originale de grande envergure. Mais le film tient aussi surtout grâce à la présence délicate et à la beauté de ses deux interprètes Brooke Shields (doublée pour les plans de nudité, rappelons-le) et Christopher Atkins, versions modernes d'un mythe d'Adam et Eve qui n'auraient jamais été chassé du Jardin d'Eden. Inévitablement charmant et poétique, Le Lagon bleu reste cependant marqué par quelques bonnes longueurs (dans la seconde partie surtout) et une dernière bobine tirant un peu à la ligne, ravivant une civilisation, et une allusion biblique, qu'on aurait préféré oublier, là où pourtant le choix d'Emmeline et Richard semblait pourtant des plus clairs.
De ces grands moments de belles innocences, certains n'en retiendront bêtement que perversité voir des relents de pédophilie (affligeant), obligeant la pseudo-suite Retour au lagon bleu (avec Mila Jovovich) et la plus triste encore variation de 2012 Les Naufragés du lagon bleu, à une pudeur mal placée et une niaiserie consternante.



