Encore assez méconnu de nos jours, Une Vie difficile représente pourtant un moment majeur dans la filmographie de Dino Risi, un tournant qui annonçait ses futurs chefs d'œuvre de la comédie à l'italienne que seront Le Fanfaron et Les Monstres notamment. Cette sublime édition de la collection Make my day nous permet donc de redécouvrir dans une superbe version HD ce que Jean-Baptiste Thoret considère comme « l'un des plus beaux films du monde »... tout simplement !
Lorsque Dino Risi s'attaque à Une Vie difficile en 1961, le cinéaste milanais a déjà derrière lui une belle carrière auréolée d'une dizaine de films, des comédies « optimistes » souvent classées dans le courant du « néoréalisme rose ». Parmi ces films, on retrouve par exemple la trilogie légère et à succès Pauvre mais beaux, Beaux mais pauvres et Pauvres millionnaires.
Mais ici, Risi change de braquet et insinue dans son œuvre la verve, l'ironie mordante et le goût de la satire qui demeureront sa marque de fabrique. Avec l'apport de l'ancien résistant Rodolfo Sonego au scénario, le film se veut à la fois fresque historique retraçant les soubresauts de l'Italie de 1943 à 1960 (résistance, chute du fascisme, instauration de la République, le miracle économique...), ainsi que la chronique d'un couple magnifique porté par un Alberto Sordi engagé et exalté, et une Lea Masari ne supportant pas que les idéaux de son mari les obligent à une vie de misère, sans compromissions.
Alors que dans Nous nous sommes tant aimés (qui peut être vu comme une sorte de remake, un jumeau du film de Risi), Scola pouvait dire « nous voulions changer le monde, mais c'est le monde qui nous a changés. », Sordi au contraire refuse de perdre sa dignité en suivant le train en marche, de se conformer à ce nouveau monde qui ne lui rappelle que l'ancien, où les vaincus de la Guerre (monarchistes, fascistes...) reprennent finalement le leadership via la politique et l'industrie. Une analyse finalement très proche de celle de Pasolini qui voyait dans le Boom économique et la société de consommation l'apparition d'un néo-fascisme...
Longtemps boudé en France, sorti en 1977, notamment pour son aspect italo-italien, Une Vie difficile se révèle être une des comédies les plus amères de Risi, toujours prêt à jeter son regard cruel sur ses contemporains. Qui de mieux qu'Alberto Sordi, l'homme aux mille visages qui ne cessa d'incarner l'italien moyen durant sa carrière, pour incarner ce Silvio idéaliste mais lâche, irresponsable qui ne sait ni s'empêcher ni se conformer. Il trouve ici sans doute l'un de ses plus beaux rôles à la lisière du dramatique, et on ne cesse de s'émerveiller de son talent, de cette manière indescriptible de faire passer les émotions.
Comédie amère et désespérée s'il en est (le « happy-end » n'en est pas un, une fois sa revanche accomplie et sa dignité retrouvée, Sivio et Elena en un instant retournent à leur vie de misère), le quatorzième film de Risi est également une œuvre politique à ranger près de celles de Petri ou Damiani. L'ancien psychiatre délivre ici une radiographie de la société italienne, avec inserts d'image d'archives, parfaitement lucide : la pauvreté, l'évolution de la place de la femme, les prisons, l'apparition d'une nouvelle classe dirigeante... A ce titre, le personnage d'industriel « premier en tout » et préoccupé de politique joué par Claudio Gora semble anticiper Silvio Berlusconi... Une vision habituelle chez Risi qu'on retrouve par exemple dans Au nom du peuple italien, nouvelle farce au vitriol, avec un Gassman en industriel omnipotent.
Durant près de deux heures, les scènes cultes s'accumulent (le repas chez les royalistes, Silvio à Cineccità, la rencontre de Silvio et Elena, l'examen d'architecture...), Sordi en fait des tonnes, nous fait rire et pleurer, et Risi nous plonge dans peut-être son meilleur film, où tout le carburant qu'il utilisera pour ses prochaines réalisations est déjà présent.





