Pas vraiment soutenu par un David Bowie manifestement très déçu de son expérience, sorti dans une indifférence assez générale et subissant quelques remontages et coupes en cours de route, Just A Gigolo reste une drôle de proposition. Une comédie triste et absurde au cœur de l'Allemagne de l'entre-deux guerres, mémorable essentiellement pour la dernière apparition à l'écran de la légendaire Marlene Dietrich.
Situé d'une certaine façon dans la continuité d'œuvres comme Cabaret de Bob Fosse et L'Œuf du serpent d'Ingmar Bergman, Just A Gigolo venait à son tour scruter les rues de Berlin à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale, entre années folles, monde de la nuit et montée implacable du nazisme.... Mais avec une touche inédite d'ironie, un décalage qui vient trancher avec le dramatique de la situation et cet effondrement social et politique du pays vaincu. Visage inoubliable de Blow-Up et des Frissons de l'angoisse, David Hemmings, dont c'était la troisième réalisation, démontrait ainsi ses grandes ambitions de cinéastes, profitant ainsi d'une production plutôt luxueuse et presque entièrement financée par des studio Ouest Allemand, de superbes costumes et décors locaux, d'une reconstitution riche et d'une photographie particulièrement léchée, pour imposer un regard de biais sur une période trouble mais ô combien passionnante de l'Histoire. Parsemé de petites touches humoristiques, de séquences reprenant la rythme et l'esthétique des comédies burlesque du muet, Just A Gigolo conte pourtant le retour pas franchement rigolo un jeune officier prussien que tout le monde croyait tombé au front. Un fantôme comme beaucoup d'autre qui peine à retrouver sa place dans une société qui a drastiquement changé qui et qui s'enfonce de plus en plus dans la décadence et les ténèbres.
David Bowie qui sortait juste du sublime L'Homme qui venait d'ailleurs et qui justement était en plein dans cette « période allemande » qui donnera naissance aux albums Station to Station, Low et Heroes, incarne un jeune homme aux airs candides, traumatisé par ses souvenirs des tranchés, devenu impuissant et incapable de donner suite à sa romance avec la jolie Sydne Rome, prostituée aux rêves de stars. Il traverse le film comme détaché, un peu ahuri, cherchant simplement un but quitte à répondre aux sirènes du nationalisme et à s'engouffrer dans la carrière de Gigolo. L'occasion de revoir Kim Novak en joyeuse cliente aristocrate et surtout l'icône Marlene Dietrich dans son dernier rôle à l'écran. Cette dernière n'acceptera in fine d'y apparaitre qu'à la condition que ses plans soit tournés séparément à Paris (et non à Berlin), provoquant une nouvelle déception pour la tête d'affiche qui avait accepté le projet en partie pour avoir l'honneur de la rencontrer. Diminuée mais toujours aussi magnétique, elle interprète le fameux tango autrichien Schöner Gigolo, Armer Gigolo, rendu célèbre en 1956 par Louis Prima, mais en lui rendant toute son amertume. Un constant mélange de tonalité, une valse incertaine entre la légèreté et la lourdeur du contexte, que malheureusement le réalisateur ne maitrise jamais pleinement, se perdant régulièrement dans l'anecdotes, entrecroisant ses trames mais sans réelle logique apparente et s'épuisant dans un luxe visuel qui n'empêche certainement pas l'apparition d'un faux rythme, laborieux et, avouons-le, souvent bien ennuyeux. Même le propos politique et historique finit par perdre toute sa pertinence jusqu'à un final aussi abrupte que prévisible et facile.
Comme beaucoup David Bowie ne gardera vraiment pas un bon souvenir de son expérience, limité dans son personnage, écrasé par une entreprise assez chaotique, attristé par les frustrations et le résultat final. « Tous ceux qui ont participé à ce film - quand ils se rencontrent maintenant, ils détournent le regard... Écoutez, vous avez été déçu, et vous n'y étiez même pas. Imaginez ce que nous avons ressenti... C'était mes 32 films d'Elvis Presley réunis en un seul. » Ces propos lâchés lors des années qui suivirent n'aidèrent effectivement pas à la postérité du film.



