1999. Cinéaste au passif sulfureux, Victor Salva parvient à convaincre la MGM et Francis Ford Coppola d'investir 10 millions de dollars dans une petite série B hargneuse dont il est l'auteur. Sorti en salles à la fin de l'été 2001, Jeepers Creepers marque de son empreinte malsaine le cinéma d'horreur du nouveau siècle, inscrit au panthéon des monstres le Creeper et ses appétits inavouables et lance une trilogie. Vingt ans plus tard, le finlandais Timo Vuorensola, responsable du pitoyable diptyque Iron Sky, enterre le Creeper dans les tréfonds du Z en se rendant coupable d'un reboot tout à fait honteux. Sans que l'on sache vraiment pourquoi, Metropolitan a choisi de rassembler les deux films dans un coffret blu-ray en édition limitée.
Pas franchement pressés de profiter du joli succès critique et public de Jeepers Creepers aux USA et dans le reste du monde, les distributeurs français ne laissent sa chance au film de Victor Salva qu'à l'été 2002 et dans un circuit limité. Un peu plus de 100 000 spectateurs feront tout de même le déplacement, dans l'indifférence générale. Pas grave. Les cinéphiles les plus affûtés de l'hexagone avaient déjà investi depuis plusieurs mois dans le superbe dvd zone 1 édité par MGM disponible en import à un tarif très raisonnable et connaissent tous déjà sur le bout des doigts la petite histoire derrière derrière ce classique instantané. Une histoire sordide, à dire vrai.
À la fin des années 80, Salva est reconnu coupable d'actes pédophiles à l'encontre de Nathan Forrest Winters alors âgé de 12 ans et acteur principal de son premier long-métrage, Clownhouse. Plaidant coupable, le scénariste et réalisateur est condamné à trois ans de prison mais sort au bout de quinze mois, libéré sur parole. S'il retrouve le chemin des plateaux à grand renfort de mea culpas divers et variés (une chance que n'aura pas sa victime), Salva doit encore suivre une longue thérapie. Jeepers Creepers en est le produit assumé. Car ce monstre au sourire pervers qui renifle les sous-vêtements sales de ses proies (de préférence de jeunes mâles à peine pubères), les poursuit sans relâche en se pourléchant les babines et les enlève en pleine nuit au nez et à la barbe des forces de police et de leurs proches pour leur faire subir les pires outrages dans son antre sombre et humide, c'est bien évidemment Salva lui-même. Le cinéaste nourrit sa créature de ses pulsions et de son subconscient pour donner à ce qui, sur le papier, ressemble à un proche cousin du Duel de Steven Spielberg marié de force à L'étrange créature du Lac Noir, une aura cauchemardesque à même de hanter le spectateur longtemps après le générique de fin.
Aussi dérangeant soit-il, un sous-texte ne fait pas tout et Jeepers Creepers exhibe (ouh là!) de sérieux atouts pour rivaliser avec les cadors du fantastique et de l'horreur. Jouant volontiers de l'arrière-plan et de la mise au point pour laisser la peur s'emparer du cadre plutôt que de recourir à une avalanche de jump scares, Salva livre une mise en scène diablement efficace, élégante lorsqu'il le faut. En particulier lorsqu'il s'attarde sur le Creeper, dont il révèle très progressivement la nature surnaturelle. Dans la peau du monstre et sous le maquillage, Jonathan Breck dévoile un charisme à la Robert Englund ou à la Lon Chaneymais sans jamais prononcer le moindre mot. Tout à fait crédibles, Gina Philips et Justin Long campent des protagonistes particulièrement attachants. Enfin, la construction en trois actes articulés à la perfection jusqu'à une conclusion logique mais cruelle nous rappelle à quelle point l'écriture occupe une part essentielle dans la mécanique de l'effroi. Oui, pour tout ça et bien plus encore, Jeepers Creepers est un chef d'oeuvre, un vrai.
Plus friqué, Jeepers Creepers 2 ne diffuse sans doute pas le même malaise (l'homoérotisme est devenu un gimmick dont Salva s'amuse) mais offre un spectacle racé et trépidant, de son ouverture dans un champ de maïs jusqu'à la mise à mort du monstre par un Ray Wise impeccable en capitaine Achab des campagnes. Séquelle tardive, fauchée et minée par une nouvelle mise en lumière du passé de Victor Salva, Jeepers Creepers 3 sauve laborieusement les meubles sans abîmer le mythe. Tout le contraire donc du nouveau film qui nous occupe aujourd'hui, sinistre navet sur lequel il serait dommage de s'étendre trop longtemps. Histoire de vendre son bébé difforme au public de 2022, Timo Vuorensola s'essaie à une approche méta du Creeper, rejouant le premier acte du film original avec un couple de personnes âgées (pauvre Dee Wallace, venu cachetonner) pour mieux le transformer en légende urbaine pour les accrocs de YouTube et TikTok. S'ensuivent un second et un troisième acte qui donne dans le slasher bas de gamme et transforment le Creeper en ersatz pitoyable de Jason Voorhees. D'une laideur et d'une connerie stupéfiantes, Jeepers Creepers Reborn ne vaut pas un kopeck et sabote la création de Salva à la moindre occasion. Incompétence dans la mise en scène, dans la direction d'acteurs, dans le traitement de la violence, dans l'humour et dans la gestion d'effets spéciaux calamiteux, Vuorensola cumule toutes les tares du producteur de contenu faisandé pour plateformes de streaming au rabais. Une scène vaut néanmoins le détour pour son comique involontaire : affrontant un redneck dans un mano a mano de catcheurs de seconde zone, le Creeper (cette fois-ci incarné par un inconnu qui mérite de le rester) pousse un gros hurlement de colère en constatant que son disque vinyle favori n'a pas survécu à l'empoignade. Fou-rire garanti !






