Dallas, États-Unis, 22/11/1963, la terre s'arrête de tourner, l'inconcevable vient de se réaliser face caméra. Le pays de la liberté, celui où tous les rêves semblent pouvoir se réaliser devient en l'espace de quelques secondes celui où tout est possible, jusqu'à assassiner son propre président.
Paris, France, 1978. Henri Verneuil, cinéaste populaire, est fasciné par une expérience scientifique menée par le psychologue Stanley Milgram. Celle-ci a pour but de tester l'obéissance à une quelconque autorité par un individu allant à l'encontre de ses valeurs morales. Les candidats doivent infliger à un second participant un choc électrique de plus en plus fort si celui-ci répond mal à certaines questions. Le but de l'expérience étant de voir jusqu'à quel point le tortionnaire du jour est capable de faire subir des souffrances à un inconnu avant qu'il ne se rebiffe lui-même contre l'autorité établie. L'expérience aussi insoutenable soit-elle expliquait toutes les dérives dont les groupuscules peuvent user afin d'assouvir leurs sombres desseins. Elle arrivait justement lors du procès du nazi Eichmann. Le sujet a tout d'intéressant mais malheureusement n'a pas assez d'épaisseur pour en faire un film. C'est avec l'aide du jeune scénariste Didier Decoin (fils de) que Verneuil va mettre le feu aux poudres au sujet en se réappropriant le destin tragique de John Fitzgerald Kennedy et de l'endoctrinement médiatique de l'état dans l'état.
Les années 70 et la mort de Kennedy ont plongé le monde dans la désillusion, le cinéma reflète cet état d'esprit. Des films comme Les Trois jours du Condor de Sydney Pollack ou Les Hommes du président d'Alan J. Pakula illustrent ce point de vue où la paranoïa est devenu de mise. Avec I... comme Icare, Verneuil emboite le pas en se réappropriant les faits avec minutie. Il recrée un pays fictif où le dollar est la monnaie courante, reproduit une ville imaginaire ressemblant étrangement à Dallas et surtout reprend exactement l'enquête laissée par le juge Garrisson où Yves Montand endosserait le rôle du célèbre procureur immortalisé par Kevin Costner dans le JFK d'Oliver Stone. Le film en est même une reconstitution fidèle pour l'époque avec la présence de l'homme au parapluie, la balle magique et Oswald présent sous l'anagramme de Daslow. Verneuil et Decoin ne cachent pas leurs ambitions. Ils s'offrent en conseiller technique le diplomate spécialiste de la guerre froide : Henry Kissinger. Le grand luxe en terme de crédibilité. Les scénaristes posent leur histoire avec la distance nécessaire pour interroger le spectateur sur leur propre conviction. Jusqu'où une organisation politique est-elle prête à aller pour imposer son régime ? Ici les témoins ont tous disparu d'une manière tragique à l'instar d'un autre film de Pakula A cause d'un assassinat. Toute vérité n'est pas bonne à dire. L'enquête est implacable, à la frontière d'une approche documentariste jusqu'à cette longue rupture de ton avec l'expérience de Milgram juste avant le dernier acte. Verneuil n'en est pas à son coup d'essai dans le genre. Dans Le Mouton à cinq pattes déjà, il utilisait cette méthode avec une séquence anthologique où lors d'un pari sur un bateau, une mouche devait se poser sur un morceau de sucre du commandant de bord créant une tension palpable et implacable. Le risque encouru est de sortir le spectateur du film pour se concentrer sur cette expérience qui lui tient à cœur. Le réalisateur pointilleux relance les cartes par d'autres interrogations légitimes en confrontant les responsabilités de l'homme face à ses dérives. Il livre un parfait manuel de l'obéissance aveugle pouvant mener à la création d'un Etat totalitaire lui permettant d'arrivée à la conclusion de son long-métrage. Le film prend alors un autre virage. D'une enquête sur un complot visant à renverser un président, il prend une direction encore plus radicale sur le despotisme et sur des gouvernements renversés au nom d'intérêts obscurs s'illustrant par l'opération Zénith où la mort du president Allende permit au gouvernement Pinochet de se mettre en place au Chili. L'ombre de Costa-Gavras n'est pas loin.
Henri Verneuil frappe fort, sa dernière partie de carrière migre vers un univers engagé dépassant le cadre du cinéma français pure souche. Nous quittons les rives de la révolution sociologique pour entrer dans celui l'océan de la mondialisation politico-economique !




