Véritable pilier du cinéma français populaire Henri Verneuil (de La Vache et le prisonnier à Week-end à Zuydcoote en passant par Le Clan des Siciliens) entamait dans la dernière grande partie de sa fructueuse carrière un glissement progressifs mais remarquable vers le thriller politique avec en fin de ligne, Mille Milliards de dollars, souvent considéré comme le dernier grand film du cinéaste.
Le polar encore couillu avec Belmondo, Peur sur la ville, mais avec déjà une fibre anxieuse, Le Corps de mon ennemi sur le mariage sordide entre la bourgeoisie politique et les mondes criminels, du sommet I...comme Icare revisitant l'assassinat de Kennedy à la lisière de l'allégorie désespérée seront rejoint en 1982 par ce Mille Milliards de Dollars se confrontant alors à la marche conquérante des multinationales. Sa mise en scène délaisse progressivement le spectaculaire, se rend de plus en plus discrète tandis que ses scénarii deviennent plus complexes, plus verbeux même, comme si le cinéaste prenait la mesure des dangers qu'il dénonce. Et cette rigidité mêlée d'un didactisme que certain pourraient trouver laborieux, se prête pourtant à la perfection à l'univers de Mille milliards de dollars, plongée totale et extrêmement précise dans les coulisses du petit monde de la finance et des conglomérats encore assez discrets en ce début d'une décennie qui sera pourtant leur grande célébration.
En s'inspirant d'un ouvrage économique dénonciateur du même nom signé Robert Lattès, du roman américain Gare à l'intox de Lawrence Meyer mais aussi du véritable scandale qui éclata autour des méthodes et des racines historiques douteuses de la multinationale ITT (aujourd'hui démantelée), le film s'assoit sur un réseau d'informations, de détails et de chiffres qui assurent une totalement crédibilité du propos, lui offrant même une portée visionnaire (la réalité a depuis largement dépassée la fiction) qui fait froid dans le dos. La structure tentaculaire de la firme GTI, son utilisation démoralisée du facteur humain, son dédain des frontières et des légitimités des états, son organisation autoproclamée au-dessus du reste du monde trouve sa meilleure illustration dans une grande réunion bilan dirigé par le président incarné avec fiel par l'impassible Mel Ferrer, entre le dirigeant d'une secte priant le billet vert et une incarnation bien trop réelle du Spectre des James Bond. Une réalité presque surréaliste parfois, qui va se dévoiler naturellement par le biais de l'habituelle enquête, ici menée par le journaliste opiniâtre Paul Kerjean, mis sur la piste par un mystérieux informateur, et qui va, sans le savoir, devenir l'outil d'une firme prête à tout pour augmenter les bénéfices de ses actionnaires. Surprenant de sobriété et de calme froid, Patric Dewaere incarne parfaitement la figure habituelle chez Verneuil de l'homme seul (ici presque « l'humain ») face à une gigantesque machine qui le dépasse, mais n'arrive cependant pas à redonner l'impulsion nerveuse qui manque parfois au film.
Parfois à la lisière de l'essai théorique, de la démonstration appliquée, Mille Milliard de dollars pèche un peu dans sa mise en place d'un vrai suspens, optant d'ailleurs pour une curieuse fin un peu facile et mélodramatique. Peut-être pas aussi puissant que ses films précédents, mais doté d'une acuité inquiétante certainement.


