Considéré par Peter Bogdanovich comme son œuvre sans doute la plus personnelle, Daisy Miller sera aussi l'un de ses plus grands échecs, le faisant chuter de son piédestal de golden boy du nouveau cinéma américain, éreinté par la critique et boudé par le public. Tout ça pour les beaux yeux de Cybill Shepherd.
Une actrice rencontrée sur le tournage de son premier grand succès, La Dernière séance, et avec qui il partage sa vie, et les couvertures de revues peoples, depuis. Un idylle que le cinéaste voudrait consacrer par un véhicule à la hauteur de sa muse. Alors en partenariat avec ses collèges Francis Ford Coppola et William Friedkin au sein de l'éphémère société de production The Directors Company, il imagine produire une adaptation du roman de Henry James, Daisy Miller, dont il interpréterait le premier rôle masculin aux cotés de son compagne, le tout devant la caméra de son mentor et ami Orson Welles. C'est ce dernier devant l'instance intime du sujet qui conseille à Bogdanovich d'en garder la direction. C'est que au-delà de l'admiration qu'il vous à l'actrice à qui il offre ici le premier rôle le plus important de sa carrière, l'auteur de Nickelodeon et Jack le magnifique, se reconnaît parfaitement dans le portrait donné du triste et admiratif Frederick Winterbourne (finalement interprété par le fané Barry Brown), aristocrate d'origine américain mais s'étant totalement incarné dans les valeurs et la haute société européenne. Un personnage qui s'y est oublié finalement, aux airs parfaitement anglais et guindés, et qui est à la fois fasciné et interloqué par le comportement incompréhensible de la jeune demoiselle. Sous le semblant d'une chronique du grand monde de du vieux continent à la fin du 19ème siècle, le film scrute surtout la confrontation entre la rigidité d'une société vieillissante, calfeutrée dans son histoire et ses valeurs, et une culture beaucoup plus libre, impulsive, insaisissable et presque naïve.
Une romance qui ne peut aboutir, tant Winterbourne n'arrive jamais à capturer l'essence et la réalité de Daisy Miller, se rangeant rapidement du coté des jugements hâtifs de ses contemporains, voyant lui aussi parfois dans ce comportement hors code, hors norme, un dévergondage de mauvaise tenue. Très fidèle au roman, Bogdanovich en reprendre même certains dialogues, mais y ajoute une vivacité, une rapidité, une opulence qui viennent appuyer son point de vue finalement des plus modernes. D'ailleurs à ces visites d'un château en suisse, où les deux jeunes gens semblent pour une fois "flirter" avec naturel et ces déambulations dans une Rome déjà inaccessible, le réalisateur ajoute un spectacle de marionnettes italiennes. Une comedia del arte à coups de bâtons à laquelle Daisy Miller rit sans retenue, là où Winterborne se montre bien incapable de se laisser aller. Un parallèle évident avec la vision très fracturée entre le cinéma européen (français et italien essentiellement) et américain, les uns restant constamment attachés à l'image dans toutes ses fioritures alors que l'autre recherche essentiellement l'émotion et la réaction. Un discours particulièrement intéressant, non sans humour en particulier lorsque l'odieux petit frère concentre en quelques phrases et comportements tout ce que l'arrivisme américain peut avoir de plus désobligeant, mais qui peine aussi à rendre sa figure féminine centrale véritablement aimable. Toujours vue sous le regard de son prétendant, elle parait souvent agaçante, bavarde, frivole, inconstante se passionnant justement que pour les choses vaines et légères.
Et à force d'embrasser l'esthétique feutrée de la reconstitution historique et littéraire, de préférer la minutie des constructions et des intentions plutôt que de s'autoriser quelques folies, quelques passions, Daisy Miller peut laisser le spectateur à distance devant l'exercice ironiquement plus cérébral que sensitif. Un peu comme une soirée un peu chiante passée avec un mec brillant. Il parait que justement les soirées de Bogdanovitch ressemblaient parfois un peu à ça.




