Un nouveau Matrix était-il vraiment nécessaire ? Pas franchement, un peu à l'image des nombreuses suites, reprises et autres remakes de licences cultes de ces dernières années. Mais l'exercice est loin d'être gratuit car la sœur Wachowski mélange allégrement relecture, réécriture, critique acerbe et analogies osées dans un divertissement qui peut se révéler parfois assez vertigineux.
Véritable film transition entre deux époques du cinéma d'action américain (pour ne pas dire millénaires) et révolution hybride aussi bien stylistique que philosophique, Matrix et par extension la trilogie qu'il a formé avec les suivants Matrix Reloaded et Matrix Revolution, a depuis été abusivement copié, vidé, venant nourrir des décennies durant postures, effets de styles et amorces réflectives avec plus ou moins de bonheur. Plus de vingt ans après, Lana Wachowski prend seule le risque de revenir à cet univers fondamental répondant aussi bien aux doux chants des fans qu'aux sirènes d'un studio toujours en quête de franchises bien juteuses, mais elle choisit aussi de faire le film pour explorer d'une certaine façon son nouveau moi. Les années ont passé, la réalisatrice a désormais totalement assumé sa transformation et son identité trans, et affiche une liberté nouvelle, prenant rapidement de la distance avec les influences d'autrefois et les ambitions de comic-book live. The Matrix citait le cinéma asiatique, le film noir, les classiques du Cyberpunk, film de l'auto-analyse et réflexion totale sur le statut même de l'œuvre, Matrix Resurrection ne cesse de citer, de rebondir sur ses propres références, de reprendre ses propres échos pour mieux constamment les transformer. On ne parle pas ici uniquement des changements de certains acteurs comme Yahya Abdul-Mateen II en Morpheus nouvelle génération, mais bien d'une approche filmique plus souple, plus directe, plus lumineuse qui semble justement combattre ses propres clichés.
Devenu désormais l'arme ultime de la nouvelle menace du film, le Bullet Time n'a plus rien de grisant, de fun, s'étirant à l'extrême, à l'absurde, comme pour singer une industrie du Blockbuster qui ne cesse de s'auto digérer depuis vingt ans. Avec une bonne dose de cynisme, Matrix Resurrections est donc bien un film profondément méta, capable de tirer quelques scuds sur son chaperon dépassé, la Warner, et par extension la politique des studios américains, de parodier ses métaphores d'autrefois (aaah le Merovingien transformé en clodo rebooté) tout en multipliant constamment les parallèles entre les évènements décrits dans le film et les coulisses même de sa création. Un exercice de style on ne peut plus conscient qui aurait pu être aussi lourd à digérer qu'agaçant si Lana Wachowski ne compensait pas sa démarche d'anti-blockbuster jusqu'à l'anti-climax, en faisant naître une chose qui manquait souvent cruellement à la trilogie initiale : l'émotion. Autrefois présenté de manière extrêmement naïve et pouvant confiner au ridicule pour la pauvre Trinity, le couple central du film prend sa revanche et devient véritablement le moteur du nouveau Matrix. De la première rencontre / retrouvailles entre elle et lui, la mise en scène caressante, la fragilité des acteurs et la simplicité de quelques attentions, faire renaitre une étincelle qui n'avait jamais vraiment réussit à s'embraser. Si Keanu Reeves est égal à lui-même, Carrie-Anne Moss rappelle à quel point son personnage avec été quelque peu sacrifié et à quel point ses qualités d'actrices avaient été sous-estimés. Dans le déluge attendu de poursuites, affrontements numériques généralisés, super-pouvoirs et programmes bots tombant du ciel, Matrix Resurrections s'offre, comme il le dit si bien, une seconde chance.




