Longtemps resté inédit en France avant une première et inespérée sortie vidéo il y a seulement 10 ans, Black Christmas de Bob Clark est pourtant souvent considéré comme le premier vrai slasher du cinéma américain, quatre ans avant le choc Halloween. Un film précurseur certainement et toujours aussi angoissant quarante ans après.
Si la filiation entre le chef d'œuvre de John Carpenter et ce Black Christmas existe bien (Bob Clark aurait même soufflé le titre à son collègue), le premier ayant été profondément marqué par le travail du second, il n'y eu pas d'effet de mode et de copiage systématique de cette petite production canadienne de 1974. Un joli succès dans son pays, mais une sortie timide aux USA sous le titre Silent Night Evil Night, qui effectivement ne provoque par alors d'énorme remous dans l'industrie. Sa reconnaissance sera plus tardive, sur le long court, permettant à de nombreux curieux de découvrir une prestation qui certes préfigure Vendredi 13 & co, mais qui aussi les devance d'une bonne tête. Toujours un pied dans la stylisation propre au giallo, Black Christmas s'empare dès l'ouverture d'une caméra qui peut se faire subjective, embrassant temporairement le point de vue du tueur pour mieux déstabiliser et impliquer le spectateur. Celui-ci n'est d'ailleurs pas un homme masqué, mais une menace sans visage dont on ne percevra jamais la totalité. Un œil en très gros plans, une main, une silhouette et surtout une voix qui ne passe que par le combiné du téléphone du pensionnat ou, annonçant clairement les futurs Terreur sur la ligne et par rebond Scream, elle déverse menaces et insanités avec une voix multiples, changeante, comme si une autre histoire, une trame plus barbare se déroulait en parallèle ou revenait hanter les lieux. Pas d'explication concluante d'ailleurs, les motivations et la nature du serial killer restera presque insaisissable, comme une abstraction totale, un mal qui attend à l'intérieur pour détruire.
Déjà auteur d'un Le Mort-vivant où la monstruosité s'extrayait des séquelles traumatiques de la guerre du Vietnam, Bob Clark ferait presque de cette traque étouffante entre quatre murs, une réflexion politique sur la misogynie basique de la société américaine. Ses héroïnes ne sont ainsi pas des gentillette bimbos fourvoyées ou à l'opposée totalement frigides, mais bien des jeunes femmes modernes, affirmées, indépendantes, jamais caricaturales, qui semblent se heurter constamment au cadre patriarcal qu'on leur à laisser. La plupart des représentant de loi (excepté John Saxon) sont totalement à la masse et minimalise totalement leurs inquiétudes, les petites milices nocturnes reluques ce qu'ils peuvent tandis que les représentantes du corps féminins, d'une pauvre petite fille à la matrone de la demeure victorienne, tombent sous les coups d'un mystérieux assassin dont on ne peut être sûr que du sexe. Il n'est pas innocent que l'excellente Margot Kidder (Sœurs de sang, Amytiville, Superman) interprète ici une citadine délurée et autant portée sur la bouteille que la provocation ou que la réservée et douce Oliva Hussey (Roméo et Juliette, Mort sur le Nil) doive faire face à un petit ami incapable de supporter sa décision d'avorter. Eternel cosmonaute de 2001 L'Odyssée de l'espace, Keir Dullea campe d'ailleurs un jeune artiste manifestement torturé et dont le besoin de contrôle sur sa compagne va peu à peu le confondre avec le meurtrier et sa métaphore féministe.
Malin dans sa manière de mêler une trame volontairement vaporeuse et un sous-texte plus complexe, Black Christmas réussit aussi en resserrant peu à peu les cadres, en jouant sur une palette de plus en plus sombre et une atmosphère oppressante à pervertir irrémédiablement, les atours autrefois joyeux et chaleureux de la sacro-sainte Fête de noël et du flot de bonne volonté de bons sentiments qui animent les semaines la précédant dans la culture américaine. Sans excès d'hémoglobine, sans répondre à la tentation du gore, Bob Clark impose une atmosphère mélancolique et malsaine et une efficacité des plus brutales.




