35 ans après le chef d'œuvre muet d'Abel Gance, le cinéma français s'imagine pouvoir proposer un remake de La Roue. Les grandes ambitions artistiques d'autrefois laissent alors place à un petit mélodrame sentimental et à une illustration appliquée des conditions de vie et de travail des ouvriers de la florissante SNCF.
Gigantesque projet cinématographique comme seul Abel Gance pouvait les faire produire en France, La Roue est une œuvre fleuve atteignant les sept heures dans son montage le plus complet, multipliant les expérimentations stylistiques (montage, caméra mobile, tournage ne extérieur, apparition de touches de couleurs...) qui en fait un classique instantané de l'ère du muet. De ces ambitions avant-gardistes on en trouve aucune trace dans cette version de 1957, clairement beaucoup plus classique et posée dans sa mise en scène, même si on doit lui reconnaitre une vraie faculté à mettre en valeur les machines et leurs mécaniques souvent spectaculaires. La photographie noir et blanc de Lucien Joulet (Le Chanteur de Mexico) et Pierre Petit (Le Rapace) sculpte à merveille les lignes noirs et brillantes de la locomotive, lui donnant une réelle prestance à l'écran, écrasante et omniprésente. Une belle manière de symboliser la place que « la Petite » tient dans la vie de Pelletier (solide Jean Servais) et le déchirement que va provoquer son éloignement avec celle-ci à la suite d'une erreur commise pour raison familiale, puis pour des questions médicales (la vue n'est plus assez bonne) qui le relèguent à mécano à l'atelier, puis veilleur de nuit. Une lente déchéance, symbole aussi d'une modernisation du monde du chemin de fer où l'on ne cesse de vanter les performances de l'électrique dont les expérimentations vont d'ailleurs être menées par le propre fils de celui-ci.
Un drame ouvrier en somme où l'on reconnait bien souvent la touche humaine et social du futur metteur en scène de Rue de la cascade. Si le film est essentiellement crédité à André Haguant (Procès au Vatican, Il est minuit, docteur Schweitzer), scénariste, réalisateur et producteur quelque peu oublié aujourd'hui, ce dernier ne fut au final que peu présent sur le tournage, victime d'un accident de voiture deux jours avant le début des prises de vue. A son jeune assistant, Maurice Delbez donc de prendre pour la première fois les manettes du long métrage et d'y apposer une sensibilité humaine bien présente et d'ailleurs admirablement portée par un excellent Pierre Mondy en bon copain franc et le cœur sur la main. On le sent ainsi clairement plus attiré par l'aspect presque documentaire du sujet que par les dernières bribes du scénario d'Abel Gance jouant sur l'attirance destructrice que voue Pelletier à sa fille adoptive (ici recueillie après que sa mère soit tombée sous les balles allemandes) et le trouble qui va naitre dans le cœur d'un fils qui la croit être sa sœur de sang. De ce mélodrame ambigu, trouble et riche en symboliques, La Roue de 1957 n'en préserve qu'une confusion des sentiments, de larges maladresses d'un homme bourru et solitaire et un secret qui bien entendu fait plus de mal que de bien. Un essai bien moins grave qui peut alors s'achever sur un happy end plein de bons sentiments.
Film sympathique et document presque historique, La Roue reste tout de même assez anecdotique surtout comparé au chef d'œuvre d'un Abel Gance dont l'histoire ne nous dit pas s'il osa jeter un œil sur cette proposition des plus académiques.




