Dernier film cinéma de Maurice Delbez, Rue des cascades, re-titré alors Un Gosse de la bute, lui coûta tout simplement sa carrière. Non pas à cause d'un quelconque échec artistique mais bien par son sujet : la rencontre entre un gamin et le nouvel amant de sa mère, un homme noir. Précurseur et charmant.
Après avoir fait ses premières armes en reprenant en cours les commandes de La Roue et connu un joli petit succès populaire avec son premier vrai film la comédie A pied, à cheval et en voiture avec Noël-Noël, Maurice Delbez connait surtout l'échec et lui-même reconnait que les projets suivants ne sont pas franchement à la hauteur de ses attentes. Jusqu'à sa découverte du roman de Robert Sabatier, Alain le nègre, dans lequel il retrouve une évocation de sa propre enfance comme gosse des rues et fils de propriétaire de bar de quartier, mais aussi avec lequel il partage les valeurs d'universalité et de célébration de la différence. Mais cette histoire d'amour entre une femme et un bel antillais (Serge Nubret était un célèbre culturiste) plus jeune de vingt ans, est encore à peine accepté (dans le meilleur des cas) en société et surtout loin d'être chose commune sur les grands écrans. Un sujet encore tabou que le film couple qui plus est avec une évocation sensible et troublante de la condition féminine dans cette France d'après-guerre, en particulier ses sentiments et ses désirs. La tenancière du café, admirable Madeleine Robinson, qui craint la solitude mais pas les préjugés des autres, mais aussi sa voisine et amie, qui s'éprend de son jeune neveu par alliance ou une ancienne pensionnaire de maison close refroidie par la vie et la gent masculine, dressent le portrait de femme combattant les dernières barrières patriarcales.
Quatre ans avant mai 1968, les justes dialogues de Jean Cosmos (La Fille de d'Artagnan, Le Bossu...) ouvrent une parole à la foi totalement ancrée dans son époque par son phrasé et extrêmement moderne dans sa liberté. Si on note quelques fragilités parfois dans le volontarisme du message et dans des interprétations un peu rigides, Rue des cascades séduit, touche, par sa constante sincérité et sa tendre simplicité transmises par le regard franc et naïf du petit Alain. Un gosse du quartier qui avec sa bande vit milles aventures dans les rues du Ménilmontant ouvrier, découvre le sexe féminin en tombant sur une curieuse petite brune un poil aguicheuse, et qui va grandir d'un bond au contact de ce grand monsieur en apprenant à aller au-delà des apparences. Car en plus d'un Œdipe évident, il y a aussi cette frontière de l'autre, de l'étranger, qui doit être traversée, le gamin se méfiant ouvertement de ce « nègre » qui vient lui ravir sa mère, déversant avec ses copains toutes les insanités et images racistes qu'on lui a inculqué au comptoir. La petite œuvre de Maurice Delbez montre bien que c'est en faisant l'effort d'aller à la rencontre de l'autre, sa réalité, sa culture (en l'occurrence la boxe) et son imaginaire (ici un joyeux safari urbain où les grues et pelleteuse se transforment en girafe et éléphants) que l'on se découvre soit même.
Entre classisme à la française et amorces d'un cinéma vérité s'inscrivant dans la fameuse Nouvelle Vague naissante, Rue des cascades est à la fois le témoin d'une décennie lointaine et une adorable chronique moderne, pleine de bienveillance.



