Premier film de la renaissance artistique de Leo McCarey, futur génie comique et sentimental de Cette sacrée vérité et Elle et Lui, L'Extravagant M. Ruggles est une comédie légère sur le choc des cultures, une célébration des valeurs de la démocratie US, mais aussi un irrésistible portait de majordome british coincé dans l'Amérique profonde servi par un inoubliable Charles Laughton.
Leo McCarey a déjà une très longue et productive carrière lorsqu'il s'attèle en 1935 à une nouvelle adaptation de la pièce à succès Ruggles of Red Gap, déjà porté par deux fois au cinéma. Il n'est pas alors forcément un nom connus pour de grands succès, même si on peut tout de même lui rendre la paternité des plus grands moments de la carrière de Laurel et Hardy dont il réalisé une bonne part des courts métrages, et du plus gros succès des Marx Brothers : Soupe aux canards. Et ses débuts solos au long métrage semble toujours aussi timides et anecdotiques avant l'arrivée film en présence. Il suffit parfois du bon sujet, du bon interprète, d'un équilibre retrouvé pour qu'un auteur puisse s'exprimer pleinement. En l'occurrence le récit d'un majordome anglais, figé dans son héritage et ses règles séculaires, qui se découvre du jour au lendemain revendu après une partie de poker à un nouveau riche américain. Débutant dans un joli Paris reconstitué en studio, L'Extravagant M. Ruggles s'amuse constamment de ces confrontations de cultures, de comportements et de traditions, en particulier en construisant un excellent duo avec d'un coté un Charles Laughton joufflu et (presque) impassible, pince-sans-rire, et de l'autre Charles Ruggles (oui, son vrai nom) texan inculte, bruyant, largement porté sur l'alcool, mais définitivement sympathique, embringuant le premier dans ses facéties.
McCarey connait son burlesque sur le bout des doits, multiplie les situations irrésistibles et les gags théâtraux, jouant autant sur l'effet que sur la réaction des témoins, sur le rire que sur la gène provoquée, afin de laisser naitre un sentimentalisme sincère. En dehors d'un beau-frère bourgeois bourré de préjugés et déplaisant, tous les personnages du film ont les faveurs du cinéaste qui malgré (ou grâce à) leurs défauts les traite toujours avec délicatesse et sympathie, et les laisse s'extirper de leur propres stéréotypes. Figure centrale de l'objet, Ruggles est bien entendu celui qui fait le plus long chemin, découvrant ce monde « de cowboy et d'indiens » avec dédain, se montrant plus conservateur que son ancien lord anglais, mais qui finira par découvrir les joies de la liberté, de l'indépendance et ouvrira un restaurant chic mais uniquement remplis de clients-amis. Impossible alors de ne pas faire quelques parallèles avec l'œuvre de Frank Capra lorsque le film s'enthousiasme (avec de légères réserves bien placées) justement pour ces valeurs fondatrices américaines avec en point d'orgue la plus belle, et célèbre scène du film. Un long et fluide travelling qui cherche dans un saloon un brave américain capable de déclamer le discour de Lincoln à Gettysburg avant de revenir sur Ruggles lui-même, plus british tu meurs, mais se souvenant justement de cette allocation historique et hautement symbolique, et se laissant peu à peu emporter par l'émotion. Laughton y est époustouflant et la performance restera l'une de ses préférées.
