Dix ans après Scream 4, un nouveau Scream, le premier à échapper à ses créateurs (Pas de Craven, pas de Williamson, pas de Weinstein), s'apprête à envahir nos salles obscures dès le mois de janvier. Forcément opportuniste, la sortie du premier volet sur galette UHD est sans doute une bonne occasion pour revenir sur l'une des œuvres les plus importantes des années 90, un slasher 2.0 dont les véritables atouts vont bien au delà d'une tornade de citations et de clins d'oeil dégaînées par un script de petit malin.
Acheté 400 000 dollars par les frères Weinstein au printemps 1995, le scénario de Scream (alors baptisé Scary Movie) a changé la vie de Kevin Williamson. Si les filous de Miramax n'y ont vu qu'un projet ludique et branchouille, tout à fait dans l'esprit du tout jeune label Dimension Films, Williamson, lui, y a littéralement joué son avenir. Fils d'un pêcheur de Caroline du Nord, passionné par Edgar Allan Poe, le théâtre, la poésie et les films d'horreur, le jeune Kevin s'est d'abord essayé - sans succès - au métier d'acteur avant de se rabattre sur des études de scénariste à la célèbre fac de cinéma de Los Angeles, UCLA. Vendu pour une bouchée de pain et vite posé sur une étagère pour y prendre la poussière, le script de Killing Mrs Tingle ne lui rapporte guère plus que de la frustration et le sentiment que sa carrière piétine dangereusement. Un article sur Danny Rolling, un tueur d'adolescents surnommé l'éventreur de Gainesville (du nom d'une petite ville de Floride), et sa connaissance encyclopédique du slasher lui apportent la matière nécessaire à l'écriture de Scream qu'il envisage comme un hommage au cinéma horrifique des années 80 et un mélange délicat d'humour noir et d'épouvante. D'un strict point de vue commercial, Williamson est bien conscient que le genre qu'il aborde ne fait plus recette depuis plusieurs années mais il sait aussi que le slasher et ses codes sont suffisamment ancrés dans l'inconscient collectif pour qu'une approche interactive et un soupçon d'originalité (le tueur n'est plus une silhouette monolithique mais un prédateur véloce et malin) rallument la flamme. Tout cet abattage de concepts et de second degré ne fonctionnerait pourtant pas aussi bien sans des personnages en bêton armé. C'est le secret le mieux caché de Scream, son arme secrète : une caractérisation impeccable et attachante.
Entre Scream et Wes Craven, c'est une relation amour-haine. Le réalisateur des Griffes de la nuit découvre le manuscrit à l'occasion de sa mise sur la marché et tente alors de le faire acheter pour pouvoir le mettre en scène lui-même. Trop tard, les Weinstein ayant déjà la main dessus après avoir fait monter les enchères. Craven abandonne et se concentre sur un remake de La Maison du diable (qui se fera finalement chez Dreamworks avec le résultat que l'on sait). Il décline même les offres de Dimension et fait savoir à qui veut l'entendre qu'il en a un peu ras la couenne des films d'horreur, invoquant la mysoginie du genre. Romero, Raimi et Rodriguez sont sollicités mais Williamson pose son véto et réclame Craven. Le vétéran de 56 ans finit par accepter en négociant un contrat avec Miramax. Si Scream cartonne, le studio s'engage à produire et à lui confier les rênes du projet de ses rêves : La Musique de mon cœur, biographie sensible (pour ne pas dire larmoyante) d'une professeure de violon dans une école défavorisée de Harlem.
Avec le recul, il est aisé de comprendre les hésitations de Wes Craven. Pour le cinéaste, Scream n'offre même pas l'ombre d'un challenge. C'est carrément du sur mesure. L'horreur méta, Craven lui a même donné ses lettres de noblesse deux ans plus tôt avec le mal aimé Freddy sort de la nuit, épatante relecture et mise en abime du mythe Krueger. Et lorsqu'il s'agit de faire passer de vie à trépas des jeunes demoiselles sous le couteau d'un tueur sadique et pervers en assaisonnant le tout d'un humour particulièrement malsain, La Dernière maison sur la gauche, La Colline a des yeux et Les Griffes de la nuit font figure de modèles insurpassables. Impliqué et professionnel, Wes Craven emballe Scream avec un savoir faire de vieux routard, saisissant à merveille les innombrables références de Williamson et multipliant les fausses pistes avec gourmandise. Une routine que Craven agrémente de renvois subtils à ses thématiques favorites (l'impuissance des forces de l'ordre, l'absence des parents, les traumas adolescents) tout en s'appuyant sur un jeune casting remarquable. Sans les félures de Sidney Prescott (Neve Campbell), les maladresses de Dewey (David Arquette) et les coups bas de Gale Weathers (Courteney Cox), Scream n'aurait sans doute jamais connu une telle longévité. Et ça, on le doit autant à l'écriture précise de Kevin Williamson qu'à la direction d'acteurs crédible et sans chichis de Wes Craven.




