Stephen King est l'un des auteurs américains les plus adaptés à l'écran, c'est un fait établi. Et forcément, vu la quantité astronomique de transpositions au cinéma ou à la télévision, autant dire que la qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Quand on cite les principales réussites de portage à l'écran de l'œuvre de l'écrivain du Maine, on note assez peu souvent Le Bazaar de l'Épouvante (Needful Things) de Fraser C. Heston. Pourtant, le film sorti en 1993 constitue une très honnête adaptation de son univers.
On y retrouve l'habituelle petite bourgade nommée Castle Rock, qui sert de décor à bon nombre d'histoires de King, avec une poignée de personnages aux caractères et aux failles bien marqués. L'irruption d'un vieux brocanteur nommé Leland Gaunt, qui ouvre une boutique où l'on peut trouver tout ce que l'on y cherche, bouleverse l'existence de cette petite communauté. Il faut dire que le vieil homme demande plus que de l'argent pour que ses clients puissent repartir avec l'objet de leurs rêves. C'est souvent avec une série de "services" en tous genres que l'homme se paye. Et son caractère méphistophélique va rapidement plonger la petite ville dans le chaos le plus complet... Cette trame au demeurant totalement "kingienne" dans l'esprit, a abouti à un long roman de près de 700 pages que le réalisateur Fraser C. Heston (fils de Charlton) et son scénariste W.D. Richter (réalisateur du dinguo Les Aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8e dimension et scénariste des Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin) ont eu la lourde tâche de condenser pour leur transposition à l'écran. Le résultat paie clairement son tribut à l'auteur de Christine, avec un soin tout particulier porté aux personnages, dont les relations s'avèrent compliquées en raison d'inimitiés et de conflits que les souhaits de Gaunt vont mettre en lumière et décupler, dressant les habitants les uns contre les autres, telles des marionnettes manipulées avec pas mal de sadisme par une représentation à peine dissimulée du Diable en personne. C'est ce contexte de haine et de défiance, de déliquescence des rapports humains, que le livre décrit, et que le film tente de restituer de manière plus ou moins fidèle.
Dans Le Bazaar de l'Épouvante, Fraser C. Heston filme ce grand manège social grotesque avec beaucoup d'application. Bien qu'assez classique et télévisuelle dans sa forme, fonctionnelle et sans éclat pourront juger les mauvaises langues, sa mise en scène s'avère néanmoins efficace et permet de suivre les deux heures d'intrigue sans ennui. Évidemment, l'adaptation s'est vue contrainte de sabrer de nombreux éléments et personnages, tout en atténuant une partie de la violence et des aspects les plus sombres et malsains du livre. Pour autant, le film ne trahit jamais le propos de Stephen King et tient encore très bien la route. Un montage de trois heures spécialement prévu pour la télévision, plus riche, figure sur le Blu-ray édité par Rimini (lire ci-dessous). Clairement, le réalisateur n'aura jamais fait mieux au cours de sa brève carrière derrière la caméra.
L'autre point fort du film demeure son casting quatre étoiles : Max Von Sydow, Ed Harris, Bonnie Bedelia, Amanda Plummer ou encore l'excellent J.T. Walsh composent des personnages puissants et incarnés, poussés au bout du rouleau, voire de la folie par les manigances de Leland Gaunt. Le shérif Alan Pangborn (personnage que l'on retrouve dans d'autres histoires de King se déroulant à Castle Rock et sous les traits de Michael Rooker dans l'adaptation de La Part des Ténèbres par Romero), qui voir clair dans le jeu machiavélique de Gaunt, tente de mettre fin à ses agissements et de redonner un semblant d'ordre dans le chaos ambiant, est campé par un impeccable Ed Harris, qui assure une présence charismatique comme à son habitude.
Film d'ambiance, d'atmosphère avant tout, sans effets outranciers, Le Bazaar de l'Épouvante a plutôt bien vieilli et reste aujourd'hui encore un excellent film fantastique des années 90, ainsi qu'une adaptation très honnête de l'œuvre de King. Ce qui, dans ce qui constitue quasiment un sous-genre en lui-même parcouru de nombreuses déconvenues, n'est déjà pas une mince performance.



