Cinéaste et auteur vénéré, acteur majeur de la Nouvelle Vague, François Truffaut aura laissé une trace indélébile dans le cinéma français et le 7ème Art en général. Au centre de sa filmographie, en plus de vingt ans de films, et ce dès le premier d'entre eux, reviendra comme une douce mélopée la vie d'Antoine Doinel, personnage récurrent autour duquel le réalisateur tissera le thème ô combien galvaudé des relations entre les hommes, les femmes et ce sentiment doux-amer que peut parfois être l'amour. Avec, en guise de bonbon acidulé l'accompagnant, un soupçon de légèreté musicale, une mélancolie à fleur de peau et la folie douce d'un personnage qui à force de ne ressembler qu'à lui-même finira par représenter à peu près tout le monde.
Pourtant, bien loin de cet esprit léger que prendront les aventures amoureuses d'Antoine, ces premiers pas à l'écran se font dans la douleur. Dans Les 400 Coups, qui révèle en même temps Truffaut comme cinéaste porteur d'une Nouvelle Vague qui semble tout réinventer, Antoine a 12 ans et a du mal à trouver sa place entre des parents peu aimants et une institution scolaire qui semble ne pas comprendre ses qualités d'élève. Pourtant, le jeune écolier s'intéresse à la littérature, voue même (littéralement!) un culte à Balzac, mais une succession de maladresses lui valent de toujours passer à côté de la moindre reconnaissance et de se retrouver accuser injustement avant de finalement plonger dans le petit larcin et d'être placé dans un centre d'observation pour mineurs. Les 400 Coups, malgré un humour en pointillés et sa légèreté de ton, déjà, montre une France d'après guerre dure et sans concession avec les enfants. Notamment ceux qui sortent légèrement du cadre, comme probablement Truffaut à l'époque, et qui pioche énormément de lieux et de situations de sa propre enfance. Dans le rôle du jeune Antoine Doinel, Jean-Pierre Léaud est étonnant de fraîcheur et de justesse, avec ce petit truc en plus dans le regard et le sourire en coin, qui finissent de lui prêter une tête qu'on hésite à câliner ou baffer. Une totale réussite.
Etrangement, la suite de la vie d'Antoine Doinel n'est pas racontée dans un film mais dans un « simple » court métrage prenant place au sein d'un film à sketches (L'Amour à 20 Ans) auquel Truffaut participe. Antoine a maintenant 17 ans, travaille dans l'industrie du disque et passe une bonne partie de ses loisirs autour de la musique. C'est à l'occasion d'un concert qu'il rencontre celle qui deviendra son premier amour : Colette (Marie-France Pisier). Un amour bien maladroit et platonique, au grand dam d'Antoine, qui s'accroche à elle jusqu'au ridicule le plus consommé, jusqu'à être humilié dans une scène de fin à mourir de rire (mais à l'amertume bien présente). En à peine 30mn, Truffaut accouche d'un petit chef d'oeuvre à la réalisation légère qui doit beaucoup à l'énergie communicative de Jean-Pierre Léaud, parfait en dadais candide ridiculisé jusqu'à l'outrance. Une situation embarrassante que Truffaut réussira à retourner à l'avantage de son personnage plus tard, en lui faisant avouer qu'avant de tomber amoureux de sa petit amie, il faut qu'il tombe amoureux de ses parents. Un pied de nez aux origines compliquées du personnage et à celles, probablement, de Truffaut avec ses propres parents (mais dont il se défendra plus tard).
Dans Baisers Volés, troisième de ses aventures, Antoine grandit mais se cherche toujours. Il accumule les petits boulots, dont certains totalement improbables (comme détective privé, ce qui nous vaut une scène d'anthologie avec l'immense Michael Lonsdale). Mais sa quête désespérée reste celle de l'Amour, qu'il va finir par connaître (du moins physiquement) d'abord dans les bras d'une femme bien plus mure que lui (l'occasion cette fois de profiter de la présence de Delphine Seyrig) avant de rencontrer enfin celle qui deviendra, du moins pour un long moment, l'amour de sa vie : Christine (Claude Jade). Baisers Volés donne l'impression de montrer enfin toute l'étendue du personnage inventé par Truffaut. Son humour, ses choix et les faiblesses qui le rendent si humains et véridiques.
En ce sens, le film est un carrefour dont les embranchements choisis par son héros vont définir tout le reste de ses aventures. L'arrivée de Claude Jade, parfaite en petite jeune fille sage, va elle aussi beaucoup compter pour la suite (Truffaut la demandera d'ailleurs en mariage, brouillant un peu plus les frontières qui le séparent de son héros) car son personnage, désormais présent jusqu'à la fin, va faire partir définitivement Antoine vers la voie du mariage puis de la paternité. L'âge de raison ? Pas si sûr.
Domicile Conjugal et L'Amour en Fuite, les deux derniers films, se vivent alors comme un diptyque sacrément savoureux. Le premier enferme (littéralement au vu du titre) Antoine dans un immeuble parisien où sa vie de famille fait partie intégrante de celle des habitants de l'immeuble. Tandis que Christine donne ses cours de violon dans l'appartement conjugal (la musique, encore) lui vend des roses dans la cour... après avoir changé leur pigment naturel à l'aide de différents colorants. Le zèbre n'a pas changé ! Entre deux portes qui claquent et la ménagerie de cet immeuble contrasté qui évoque parfois les personnages hauts en couleur des cases d'Hergé, Antoine trompe Christine avec la première japonaise venue, fruit défendu et exotique qu'il n'avait pas encore à son palmarès et qui va précipiter son divorce (par consentement mutuel, le premier à l'écran). Une scène de tribunal qui donne l'occasion de retrouver la Colette des débuts et vers qui Antoine va se précipiter après avoir pourtant jurer ses grands dieux à une disquaire (Dorothée, excellente) qu'elle est l'amour de sa vie.
On sent dans ces deux derniers films que Truffaut n'appréhende plus la vie de son héros de la même manière. L'amertume des débuts (et malgré la présence de scènes de ménage sans équivoque) a cédé la place à une légèreté et à un humour de plus en plus présents. Comme si la folie du doux rêveur Doinel avait fini par emporter les certitudes et les ressentiments de Truffaut lui-même. Comme dans cette scène où le cinéaste rend un hommage court mais remarqué au Monsieur Hulot de Tati, perdu comme à son habitude devant la modernité (ici celle du métro). Un humour espiègle, de garnement, comme celui sur les bancs de l'école. Comme si finalement tout cela n'avait pas beaucoup d'importance ni de gravité. Mais oui, finalement.






