Deux ans après le succès de La Veuve Couderc, le grand producteur Raymond Danon reforme le coupe Delon / Signoret pour un nouveau drame rural mais en confie les commandes au presque débutant Jean Chapot. Malheureusement il va se faire écraser par les deux monstres sacrés.
Si la légende d'un Alain Delon tyranique, bousculant ses réalisateurs et leur « volant » les commandes de leurs films a débuté quelque-part, c'est sans doute sur Les Granges brûlées. Pourtant tous les témoignages portent à croire que la star était loin d'être en tort. Jeune metteur en scène ayant fait ses armes aux théatre et ayant connu un petit succès d'estime avec La Voleuse (avec Michel Piccoli et Romy Schneider tout de même), Jean Chapot se serait effectivement montré incapable de diriger ces deux grands acteurs, rapidement agaçés par une absence de communication et de direction. Une situation qui n'aurait fait qu'empirer, entre les colères de Delon, la convocation d'un huissier par Chapot, et une équipe de tournage qui aurait tendance à tourner le dos au réalisateur... Explosif jusqu'à ce que finalement Chapot abandonne plus ou moins le tournage sur les dernières semaines, laissant les commandes à Delon et à l'assistant Philippe Monnier. Dépité Jean Chapot ne tentera plus l'aventure cinéma, retournant au théâtre et ne revenant à l'image que dans le cadre plus confortable de la télévision.
S'il est évident tout du long du métrage qu'il y a un manque flagrant de prise en main artistique, d'enjeux scénique (un comble) et que le rythme se montre plus ronronnant que languissant, le scénario se montre assez remarquable dans sa manière d'aborder le cadre du film policier, pour mieux l'esquiver au profit d'un drame sociétal capturant tout une époque finissante. Celle de la fin des grandes campagnes, des paysans d'autrefois cultivant leur terre en famille et en dépit d'une industrialisation envahissant les alentours. La paupérisation des provinces et des campagnes, et surtout l'exode de la jeunesse, ici Bernard Le Coq cheveux aux vents et une très craquante Miou Miou, qui se refusent de rester « paysant » et espère un avenir meilleur à la ville. Un changement qui va frapper de plein fouet la matriarche incarnée par une Simone Signoret, magnétique et terrienne, forte et maternelle, dernière de sa trempe et provoquant l'admiration de tous. Même du juge Pierre Larcher, venu enquéter sur la découverte d'une femme égorgée à quelques mètres de cette ferme hors du temps. Car oui il y a bien un crime et une trame de fond policière, mais dont l'avancée pretexte, ne sert en définitive qu'à jouer la confrontation impeccable entre l'élégant Delon, citadin admiratif des lieux et de son âme, et sa gardienne presque statufiée.
Tout repose bien souvent sur les acteurs (et pour cause), leur charisme et leur force de caractère, et si cela suffit pour faire un spectacle recommandable, on a constamment la sensation de passer là à coté d'un grand film erreinté par cette réalisation télévisuelle et fonctionnelle. Une absence que tente constamment de masquer l'étonnante bande originale signée par Jean-Michel Jarre (ce n'était que son second album), qui par ses sonnités synthètiques et extrement modernes (pour 73) vient souligner l'atsmophère lourde, inquiétante et étouffante d'une communautée bientôt ensevelie sous le blanc de l'oubli.



