Prix de la mise en scène à Cannes, Ours d'argent à Berlin, gigantesque succès populaire hexagonal mais aussi planétaire (il fut le premier film français traduit en chinois!), Fanfan La Tulipe reste 70 ans (!!) après un modèle du cinéma d'aventure à la française, un divertissement irrésistible et enlevé pour petits, grands et qui veut bien.
Célèbre personnage du folklore français, Fanfan la tulipe est l'un des ses grands héros issus du peuple qui se diffusa tout d'abord par le biais de chansons populaires, de récits oraux et fantaisistes avant de devenir bien entendu et bien plus tard, héros de cinéma. Le film de Christian-Jaque est la troisième tentative connue, mais reste définitivement la plus célèbre et la plus réussie (doit-on parler ici de l'atroce production Besson ?), mariant avec bonheur une théâtralité poussée et symptomatique du film historique local, avec un rythme endiablé, une narration construite comme une course effrénée constamment entraînée par la personnalité fougueuse et insatiable de son héros. Incroyable Gérard Philippe, beau comme un diable, qui bondit sur chacun de ses ennemis, s'empare de son épée à chaque occasion, part à l'assaut des armées ennemies avec la même énergie qu'il déploie pour séduire les cœurs (en particulier celui de la sublime Gina Lollobridgida) et se moquer du monde qui l'entoure. Un personnage écrit comme un immense éclat de rire, comme un passe-muraille, comme un bretteur qui fait voler les plumes d'un monde militaire aussi rigoriste qu'absurde, dont finalement cette Guerre en dentelle, mélange de tactiques spectaculaires et de philosophies célébrant une certaine inhumanité, n'est qu'un des versants les plus ridiculement meurtrier.
« Il était une fois un pays charmant qui s'appelait la France. Regardez-la par le petit bout de la lorgnette, c'est elle en plein XVIIIe siècle. Alors on vivait heureux, les femmes étaient faciles et les hommes se livraient à leur plaisir favori : la guerre - le seul divertissement des rois où les peuples aient leur part. »
Si le spectacle reste constamment léger, maniant l'humour bon enfant avec le second degré plus paillard, les grands élans de comédie scénique avec les joutes épiques, il est aussi certainement nourri par les esprits qui s'activent en coulisse. Gérard Philippe était connu pour ses grandes sympathies communistes, le réalisateur et ses camarades scénaristes connurent le maquis de la résistance et de grandes amitiés à gauche, et tous étaient portés ici par un message pacifiste, déroutant la voie de la guerre par le grain de sable d'une passion amoureuse, et une critique acerbe des puissants, massacrant la plèbes pour quelques gloires et oppositions territoriales dont personne ne semble comprendre ici les tenants et aboutissants. L'héroïsme ne naît alors pas par patriotisme (ou alors il ne l'a pas fait exprès), mais par humanisme, par sentiments, par évasion. Du panache, toujours du panache, et les dialogues d'Henri Jeanson (Hôtel du Nord) n'en manquent pas donnant à Fanfan, ses compagnons de fortunes Tranche-Montagne et La Franchise, et ses généraux fanfarons, un sens du phrasé imparable et judicieux, où chaque dialogue chante comme un croisement historique entre la flamboyance du classicisme d'un Molière et le mordant d'un Audiard. Une vraie tornade qui n'est jamais retombée, plaisir intacte d'une comédie historique comme on ne sait plus les faire, ni les penser surtout.


