Le porno, c'est de la merde ! Oui, mais encore ? Si on se base sur ce qui traîne de nos jours sur le net en mode classé X, alors effectivement, pas de doute, le porno, c'est bien de la merde. Mais il fut une époque (que les moins de 38 ans ne peuvent pas connaître) où le porno, c'était aussi du cinéma, du vrai. Avec des auteurs à la barre et des techniciens compétents derrière la caméra. La preuve avec La Femme Objet, indéniable classique du film de fesses à la française, restauré avec soin par les petits coquins de Pulse Video.
Réhabilité par l'éditeur cinéphile Le Chat qui Fume au travers de très belles éditions vidéo consacrées à La Rose écorchée, La Saignée ou Les Charnelles (ses premières œuvres, soft), le cinéaste Claude Mulot fut, sous le pseudonyme de Frédéric Lansac, l'un des rares auteurs « authentiques » du X hexagonal. Scénariste de formation, amoureux de cinéma fantastique, il ne se destinait bien évidemment pas à l'érotisme et à la pornographie mais, nécessité faisant loi, il s'y consacra avec application jusqu'à son décès accidentel en 1986 à l'âge de 44 ans. Tout en écrivant pour ses amis Max Pécas et Gérard Kikoïne, Mulot s'offrait dès 1975 un premier film X remarquable avec Le Sexe qui parle, animé par l'extravagante Sylvia Bourdon. Sans aller jusqu'à parler de féminisme (faut pas pousser!), Mulot/Lansac ne se contente pas de livrer du sexe mais offre déjà une réflexion pertinente et iconoclaste sur la libération des mœurs des 70's. L'année suivante, il tente même un remake de La Grande bouffe de Marco Ferreri avec Mes nuits avec ... Alice, Pénélope, Arnold, Maud et Richard et parvient à livrer quelques images mémorables comme comme les danses lascives d'Helga Trixi autour d'un phallus géant ou ce coït final et mortifère au ralenti. Abordé en totale liberté, La Femme Objet est son œuvre la plus iconique. Si la présence ô combien fascinante de Marilyn Jess, admirable de naturel dans le rôle titre, compte pour beaucoup dans la popularité du film, c'est bien le scénario de Claude Mulot qui en fait la force. Oui, son scénario.
N'intervenant qu'à mi-parcours, l'argument fantastique est un sacré leurre. Qu'un écrivain de science-fiction, imitant l'une de ses œuvres, se lance dans la construction d'une femme robot démontre une approche à la fois naïve et poétique du basculement du récit. Amusé, Claude Mulot ne cache pas ses références. Le mythe de Frankenstein et le Pinocchio de Carlo Collodi sont explicitement convoqués et l'androïde Kim est ainsi nommée en hommage à Kim Novak dans Sueurs Froides, comme le souligne un dialogue. Les fans les plus polissons de l'univers de George Lucas seront même ravis de voir un mini R2D2 trôné sur le bureau du personnage principal, s'agitant avec force bips chaque fois que des galipettes se déroulent à proximité. Pour autant, Mulot/Lansac a d'autres chats à fouetter que de satisfaire les amoureux de SF et de clins d'œils cinéphiles et littéraires.
Faussement subjective malgré sa structure en flahsbacks et sa voix-off, la narration tire le portrait d'un mâle peu reluisant. Parfaitement campé par un Richard Allan à la virilité excessivement machiste, Nicolas est un parfait salaud. Et l'image du jouisseur tout puissant d'en prendre un sacré coup. La première partie avec Sabine, sa compagne, est assez révélatrice de ce qu'un cinéaste intelligent peut faire lorsqu'il se sert des scènes de sexe autrement que par leur fonction masturbatoire. L'intimité de la première partie de jambes en l'air cède la place à des amours mécaniques et solitaire qui annonce déjà la venue de l'androïde Kim et contredit les propos de Nicolas. Il prétend que les femmes ne sont pas à la hauteur de son appétit vorace. C'est lui, en réalité, qui n'est pas à la hauteur de la sexualité féminine, privilégiant son plaisir en pur égoïste. Et le dernier tiers du film de renverser la vapeur avec un twist façon l'arroseur-arrosé, Nicolas se transformant en homme objet pour ses deux compagnes androïdes, couple interracial de femmes bisexuelles et très justement dominantes.
Drôle mais pas toujours sexy, ironique et malin, relativement bien foutu eu égard à un budget famélique, La Femme Objet se redécouvre avec bonheur et sa mise en boîte du mâle alpha contemporain résonne même fortement en des temps où la lutte féministe redouble de vigueur face à un patriarcat aux abois. Merci Claude - pardon, Frédéric !




