Si Old Boy a certainement consacré dans le monde la richesse du cinéma de Park Chan-Wook, la première vraie confrontation avec ce dernier fut lors de la sortie internationale de JSA en 2000, faux polar qui a révélé la patte du cinéaste, mais aussi définitivement ouvert la voie à une reconnaissance du cinéma coréen.
C'est à la sortie de deux décennies de dictature, après de première vraie élection démocratique en 1997, que renaît très naturellement le cinéma coréen retrouvant à la fois une inspiration créatrice et une curiosité du public local. Ce dernier ne veut d'ailleurs plus des chroniques sociales et des productions de propagandes qu'on leur a servi pendant des lustres, faisant preuve alors d'un attrait nouveau pour le cinéma de genre et les propositions ouvertement populaires. Le très beau Memento Mori (Kim Tae-Yong et Min Kyu-dong) et le blockbuster Shiri (Kang Je-gyu) ouvrent tous deux une porte en 1999, mais le jeune cinéaste Park Chan-Wook va définitivement l'enfoncer avec JSA. Sorti de deux premières réalisations encore confidentielles (The Moon is.. the Sun's Dream et Saminjo, toujours inédits chez nous), il concrétise avec son troisième long toutes les ambitions de ce nouveau millénaire au Pays du matin calme en posant son objectif à la fameuse frontière entre la Corée du nord et la Corée du sud. Dans l'un des baraquements du nord des coups de feu sont échangés, des cadavres retrouvés et à nouveau le conflit total menace d'éclater entre les deux frères ennemis. Un départ de polar politique, s'emparant d'une actualité toujours brûlante, mais qui sous le regard de l'enquêtrice suisse, le Major Sophie E. Jean (Yeong-ae Lee future madone de Lady Vengeance), va se muer en drame déchirant, sublime histoire d'amitié entre quatre hommes de camps opposés malheureusement rattrapés par les tensions du conflit.
Construit par à-coups, entre indices découverts et flash-backs traversant les regards, JSA frappe par son refus de prendre partie, par sa neutralité constante, rejetant totalement les codes du film militaire coréen (du nord et du sud d'autrefois). Un point de vue d'autant plus inédit alors que le sujet même, cette fausse paix attendant la plus petite étincelle, était alors relativement tabou dans l'industrie. Si la mise en scène est un peu moins virtuose que sur les films plus récents du metteurs en scène, l'esthétique plus réaliste et directe pour mieux rester en connexion avec les faits, elle est cependant déjà largement au-dessus du lot dans sa manière constante de jouer sur l'absurdité des espaces visibles, ou invisibles, des séparations géographiques et arbitraires. Une belle manière de faire contraster cette froideur idéologique avec la chaleur même de ces jeunes militaires, à la simplicité et la franchise, qui s'illustrent comme une évidence. Déjà, Park Chan-wook manie avec brio les codes du genre pour mieux approcher la candeur poétique de ses personnages, toujours victimes d'un système et de codes sociaux absurdes, révélant au passage les deux grandes stars Byung-hun Lee (A Bittersweet Life, J'ai rencontré le diable) et Kang-ho Song (Memories of Murders, Parasite) désormais visages indissociables de la vivacité du cinéma coréen. Une date certainement et toujours un très beau film.


