C'est avec l'une des illustrations les plus étonnantes et mémorables du genre qu'Artus enrichit sa collection de péplums italiens, jusqu'ici composée de curiosités diverses uniquement éditées au format dvd. Mais lorsqu'il s'agit de Mario Bava, il convient forcément de faire un pas supplémentaire pour rendre justice au travail du maître.
Tandis que Hollywood s'empare de l'Antiquité pour en développer de grands sujets certes spectaculaires mais strictement bibliques ou historiques (Les 10 Commandements, Quo Vadis, Ben-Hur, La Chute de l'Empire Romain, etc.), l'Italie - berceau géographique de cette culture - se jette, avec la jovialité qui la caractérise, dans la représentation souvent triviale mais toujours généreuse de sa propre mythologie. Hercule et Maciste seront les héros récurrents de cette production transalpine qui fait moins écho au cinéma de Cecil B. DeMille et Anthony Mann, qu'elle ne préfigure la future génération musclée des Van Damme, Lundgren, Schwarzenegger et consorts une ou deux décennies plus tard. Lorsque ce dernier, champion de culturisme à l'instar de Reg Park et Steve Reeves, débutera sa carrière aux États-Unis par l'horrible Hercule à New York, on pourra dire que la boucle est, en quelque sorte, bouclée. Le péplum est LE genre dans lequel s'exprime en Italie le souffle de l'aventure : sur le papier, Hercule est à la fois leur Indiana Jones, leur Conan et leur Sinbad - le reste dépend de la qualité du script et du charisme de l'interprète, et de ce côté c'est toujours un peu la loterie !
Mario Bava n'a officiellement réalisé qu'un seul film en solo avant cet « Hercule au Centre de la Terre » (comme il devrait fidèlement être traduit, faute de vampires à l'intérieur du récit !) mais il est d'ores et déjà brillant, au sommet de son art, chevronné par des années de bons et loyaux services en tant que directeur photo et officieusement co-réalisateur du grand Riccardo Freda. Le péplum ne devrait normalement pas lui permettre d'exprimer sa facette horrifique, la plus évidente et célèbre de son cinéma, tant il est par essence un genre solaire et décomplexé (pas plus d'ailleurs que Les Mille et une nuits et La Ruée des Vikings réalisés la même année). Qu'à cela ne tienne : Bava fera de son film un prototype de péplum gothique, engageant pour la première fois Christopher Lee qu'il retrouvera très vite pour Le Corps et le Fouet, conférant au personnage qu'il incarne un environnement ténébreux et hypnotique, et projetant enfin son Hercule dans des univers nocturnes et envoûtants comme ce Jardin des Hespérides à des années-lumières des descriptions qu'en donnent les récits mythologiques classiques. De quoi permettre aux studios Cinecittà d'asseoir tant et plus leur propre légende, leur propre mythe, à travers la construction de nombreux décors plus pittoresques les uns que les autres.
Une autre facette de Bava, beaucoup moins colportée mais tout aussi prégnante, est son goût de l'astuce et de la roublardise. Même dans ses films les plus tendus (et souvent jusque dans les séquences finales) transparaît toujours chez lui cette propension à ne pas se prendre au sérieux, à constamment rappeler au spectateur - ce qui le démarque fortement de son fils spirituel Dario Argento - que tout ceci, ses récits sanglants, ses personnages givrés, le cinéma lui-même et la nature humaine sans doute, n'est qu'une vaste blague et qu'il convient surtout de prendre du recul et d'en rire. Ce trait de caractère, quant à lui, ne peut que s'épanouir dans l'économie délirante du péplum ! Aussi Bava et ses scénaristes (parmi lesquels Duccio Tessari, créateur de Ringo - ce qui ne surprendra pas) parviennent-ils à faire de leur projet un Hercule à la fois plus crépusculaire et plus comique que jamais - équilibre extrêmement délicat qu'ils négocient sans jamais se prendre les pieds dans le tapis. John Carpenter s'en sera peut-être souvenu au moment de mettre en boîte son Jack Burton dans les Griffes du Mandarin ; du reste, pourquoi serait-il surprenant de songer à Mario Bava pour un film d'inspiration hongkongaise, dans la mesure où Hercule contre les vampires contient dans son final une courte séquence de combat avec des démons (les fameux « vampires » du titre français...?!) qui annonce vingt-deux ans avant ceux du Zu, les Guerriers de la Montagne Magique de Tsui Hark et même les Histoires de fantômes chinois de Ching Siu-tung ?
C'est devenu un poncif de signaler que Bava fait de la belle lumière, que ses plans ressemblent à des tableaux vivants, la richesse et la complexité de ses éclairages, etc. Une fois qu'on a dit ça, on n'a pas dit grand-chose : ce n'est suffisant ni pour expliquer l'aura particulière de son cinéma, ni pourquoi il n'est jamais cité parmi les grands maîtres à l'instar d'un Hitchcock, d'un Kubrick ou d'un Bergman. Le fait est que Bava a toujours évolué dans la tradition du « genre », un artisanat florissant, populaire, mais malgré tout assez peu valorisé. C'est dans cette perfection esthétique au sein d'un système où abonde l'approximation, que réside sans doute sa spécificité, sa grandeur - et ce qui le condamne également aux oubliettes de la grande histoire officielle du cinéma. On ne gagne pas ses lettres de noblesse en tournant Hercule contre les vampires, La Baie Sanglante ou L'Espion qui venait du surgelé. Mais comparer - à budgets et conditions de travail similaires - un péplum de Bava avec n'importe quel autre de la même époque en dit long sur son génie. Jamais soucieux de transcender un script pour l'amener autre part, vers des horizons insoupçonnés, Bava exerce sa magie stupéfiante dans le périmètre réduit des genres auxquels il s'attaque, ce qui la rend d'autant plus explosive. Artiste au sens fort, technicien hors-pair, il ne travaille jamais à sa propre gloire sur le dos du cinéma populaire ; c'est toujours ce cinéma lui-même qui sort grandi des incursions du maestro.
Face à un Christopher Lee plus monolithique que jamais, le cinéaste dresse Reg Park : l'incarnation la plus sympathique et physiquement impressionnante à la fois dont Hercule aura jamais bénéficié. Réjouissante alternative à l'éternel Steve Reeves, il donne à la mythologie un naturalisme plus contemporain, moins théâtral, et n'est pas pour rien dans l'attraction que peut exercer le film. Ainsi les deux acteurs personnifient-ils la belle schizophrénie de l'oeuvre, à la fois brumeuse et sautillante, lugubre et optimiste. Coincé entre Le Masque du Démon et La Fille qui en savait trop, deux réussites incontestables dans lesquelles le cinéaste établit les codes qui feront de lui une légende du film d'épouvante, Hercule contre les vampires est un peu trop souvent oublié lorsqu'on fait état de sa filmographie. Grosse erreur ! On peut toujours étiqueter le cinéma de Mario Bava, mais c'est sa capacité à faire de l'or avec un matériel de charpentier qui le démarquera éternellement, défiant toute concurrence - et celle-ci est plus perceptible que jamais dans son Hercule







