Sept films, potentiellement une série tv à venir, des tonnes de produits dérivés et autres apparitions digne d'une star, Chucky est désormais une légende du genre, au même titre que Freddy ou Jason. Pas mal du tout pour une poupée en salopette et à la voix fluette dont la carrière avait débuté avec classe dans un premier opus jamais égalé.
Bien avant les délires postmodernes et les effusions grotesques, la première aventure de Chucky, connu chez nous sous le sobre titre Jeu d'enfant (non pas de Marion Cottillard à l'horizon) peut surprendre aujourd'hui les spectateurs retardataires par son économie horrifique. Le film n'est cependant pas un film étriqué, une série B timide ou un essai qui fait pale figure face aux comédies Grand Guignol de Ronny Yu ou Don Mancini, mais tout simplement un authentique film d'horreur volontairement classique dans la plupart de ses atours. Déjà auteur d'un cultissime Vampire vous avez dit vampire ? Tom Holland est un authentique amoureux des grandes figures du genre, mais aussi un fan invétéré d'Alfred Hitchcock et des grands classiques du suspens américains. Il s'empare alors de la première mouture écrite de Don Mancini (devenu depuis seul maitre à bord) et en arrondit les angles tout en simplifiant sa structure. Un peu de vaudou pour expliciter les origines improbables de ce jouet possédé par l'esprit maléfique du serial killer Charles Lee Ray, un soupçon de polar essentiellement pour déplacer la figue héroïque du flic à l'ouest (Chris Sarandon ex Jerry Dandrige dans Fright Night ou vilain prince dans Princess Bride) vers le rôle moteur de la maman du pauvre Andy.
Entre légère critique de la société de consommation et description d'une cellule familiale déséquilibrée (paternel décédé mal remplacé par le flic protecteur), Jeu d'enfant étonne par un script plus complexe qu'à l'accoutumé, insufflant même une certaine dose de réalisme dans l'incrédulité générale que provoquent les déclarations du gamins puis de sa mère. De quoi habiter un film d'horreur diablement efficace qui privilègie toujours la tension et le suspens plutôt que les jump scare, l'atmosphère aux effusions de sang. Les meurtres y sont donc finalement rares, tout comme les apparitions frontales de Chucky (si ce n'est dans la dernière bobine), mais ces dernières en deviennent d'autant plus marquantes que l'interprétation vocale de Brad Dourif (Alien Resurrection, Les Deux tours) lui offre une âme aussi rugueuse, effrayante que sadique, mais toujours avec une ironie vorace, une vulgarité fulgurante. Un grand monstre du cinéma nait sous les yeux du spectateur, drôle et flippant, adorable et meurtrier, magnifié par les trouvailles impressionnantes de Kevin Yagher (Freddy 3, Hidden...) et son équipe des SFX. Des créatures en animatronics, des marionnettes à l'ancienne, un acteur nain déguisé et bien entendu un savant mélange effectué au montage, les visions de la poupée Brave-Gars au visage de moins en moins adorable, au comportement de moins en moins câlin, écrase sans aucun soucis la concurrence par sa crédibilité et son charisme. Pas étonnant que trente ans après sa première, et mémorable, apparition, Chucky soit encore capable de terroriser les adolescents... C'est sûr que ça doit changer de la tête-à-claque Annabelle.



