Premier film de la saga post-cinquantaine, quatrième épisode personnifié par Daniel Craig, Spectre est assez unique dans l'histoire de la franchise puisque venant conclure tel une suite directe, les trames amorcées dans Casino Royale, Quantum of Solace et surtout Skyfall. « It's all connected ! » qu'on nous dit. Mais ce Bond a parfois bien du mal à joindre les deux bouts.
Il a l'air increvable comme ça le James Bond, capable de changer de visage à presque chaque décennie et à s'y adapter comme de rien, jouant autant les suiveurs (s'inspirer de la mini-révolution Bourne) que les meneurs, et surtout pouvant se vanter de caracoler régulièrement en tête du box office. Sauf que la grande ère des aventures déconnectées les unes des autres est bel et bien révolue, la production et le duo de scénariste Robert Wade et Neal Purvis ayant entamés avec Casino Royale une opération de reboot / prequel jouant constamment sur deux tableaux : le croisement progressif entre déconstruction et reconstruction de l'univers James Bond. Encore et toujours calqué sur les smokings impeccables de l'ex-agent de la Guerre Froide, 007 se plie, parfois difficilement, à la modernité, se faisant ici littéralement rattrapé par les nouveaux enjeux géopolitiques. Trop coûteux, trop primaire, trop humain finalement, le british et son service sont éconduit vers la porte alors qu'un nouveau système de sécurité planétaire va être mis en place au détriment de la population. Tiraillé entre ses reflexes réactionnaires et sa métamorphose en symbole de l'individualisme et d'une certaine déontologie idéologique (accompagnée ici par la jeunesse de Léa Seydoux) le James Bond de Daniel Craig oscille entre l'impassibilité et la chute. Un regard constamment pertinent porté sur le personnage, une vrai réflexion en profondeur de sa nature qui, conclusion de quadrilogie oblige embrasse de manière amusée les fondamentaux, du chapitre en montagne qui cite ouvertement Au Service Secret de sa Majesté, de clins d'œil rétros qui raccrochent les wagons avec James Bond contre Dr NO et surtout ce satané Blofeld qui attend encore et toujours dans sa base secrète.
Une nemesis incontournable apparue pour la première fois dans le superbe Bon Baisers de Russie, omniprésent dans l'ombre depuis Casino Royale grâce à son organisation SPECTRE, et qui prend désormais le visage ironique de Christopher Waltz (Django Unchained). Les fans de la première heure s'amusent d'une séquence de torture à l'ancienne (et donc parfaitement ridicule), on apprécie le creusement de la vision tentaculaire de l'organisation déjà présentée dans la meilleure scène de Quantum of Solace, mais ce qui devait être le point d'orgue du film s'échappe. Une confrontation attendue, qui malheureusement par bêtise d'écriture (facilité ?) tourne à la dispute familiale maladroite, caricaturale qui clairement amoindrit autant Blofeld que Bond. Et par ricochet rend à la fois Spectre, mais aussi quelques indices des opus précédents, totalement bancale, révélant plombant et emprunté ce qui se voulait sophistiqué. A trop vouloir faire un état des lieux de la franchise, Spectre en deviendrait barbant, si à coté de cela le réalisateur Sam Mendes ne déployait pas une très belle élégance dans sa mise en image. Voyage tout autour du monde sans jamais tomber dans la carte postale pépère, poursuite endiablée et castagnes bien sèches, gadgets utilisés avec parcimonie et ironie, lumière superbe, Spectre a une très belle gueule. Une certaine classe qu'annonce admirablement l'ouverture impressionnante en pleine fête des morts à Mexico avec un plan séquence masqué qui finit en course effrénée et baston en plein ciel dans le cockpit d'un hélicoptère qui fond sur les manifestants : haletant ! Dommage donc que la suite n'assure pas toujours le même niveau de tension et de désinvolture.




