Film culte pour une grande part de la jeunesse de l'époque, révélateur de talents pour une pelletée de futurs informaticiens, WarGames est avec Tron (sortis l'année précédente) le film qui a initié le cinéma aux univers opaques de l'informatique. 30 ans après sa sortie, l'essai a forcément prit un petit coup de vieux, mais n'est pas si vain.
En 1983 le monde des ordinateurs, les réseaux virtuels et les IA n'avaient absolument pas la puissance technique et visuelle d'aujourd'hui et restait pour la plupart des gens une évocation lointaine, à la lisière encore de la SF. Des cerveaux mécaniques prenant des salles entières, des connexions via un boitier dans lequel on place le combiné du téléphone, les fameux « floppy disk » de 7 pouces (250ko de mémoire !), les écrans verts... La préhistoire ! Pourtant le scénario de Lawrence Lasker et Walter F. Parkes (futur producteur de Minority Report, Men In Black ou A.I.) pressent avec justesse l'importance que va prendre ce phénomène dans les décennies à venir. Presque une œuvre visionnaire ! Impressionnant de voir à quel point toutes les notions (backdoor, firewall...) sont parfaitement comprises et surtout vulgarisées avec bon sens. D'où sans doute le choix de donner à WarGames l'apparence d'un film d'aventure teenage, dans lequel la bouille de Mathew Broderick, futur star des ados dans Ladyhawke où La Folle journée de Ferris Bueller, rend immédiatement attachant le concept du pirate informatique, déjouant les protections du réseau militaire américain. Pas si improbable que cela à l'époque tant les administrations étaient à la ramasse, et semblaient ne rien vouloir comprendre de ce nouvel outil.
Mais si le film rend l'exercice particulièrement sexy (en particulier parce que la charmante Ally Sheedy est de la partie), il met déjà en défiance contre les pièges de la déshumanisation de ces procédés, la perte de contact avec la réalité et surtout une prise de distance décisionnaire mettant à rude épreuve la morale. Très bien vu, WarGames n'use pourtant de ces questions que pour mieux diriger la réflexion sur l'absurdité de la guerre froide. Une situation alors constamment critique et préoccupante, que l'ordinateur intelligent Joshua va ébranler en confondant réalité et jeu, mais surtout résumer par l'absurde en effectuant un parallèle avec le simplissime jeu du morpion. « Parfois pour gagner il ne faut pas jouer ». Une idée mise en image avec une réelle efficacité par le trop sous-estimée John Badham (La Fièvre du Samedi soir, Short Circuit), réussissant à transformer la salle de contrôle du Norad et ses écrans stratégiques abstraits en source de tension incroyable, tout en alternant aisément avec des incursions de la comédie romantique pour ados. Un vrai film d'aventure qui souligne toute l'efficience de l'époque, mais qui de façon plus surprenante approche un divertissement familial comme un pur thriller pour adulte, jouant habilement sur une musique électronique de moins en moins légère (et de plus en plus orchestrale), ou filmant les éléments informatiques avec une iconographie qui glisse de la curiosité à l'inquiétant avec une réelle finesse.
Aujourd'hui sans doute un brin désuet pour les plus jeunes (c'est quoi la Guerre Froide ? C'est quoi ce minitel ?), WarGames n'en reste pas moins un divertissement profondément attachant, en particulier parce qu'il ne prend jamais ses jeunes spectateurs pour des crétins. C'était mieux avant ?