Grands classiques de l'animation japonaise, la trilogie cinématographique Patlabor ressort du placard grâce à l'éditeur Kaze. Des films de robots géants à la personnalité unique, où la machine garde sa place, comme pour laisser éclore définitivement le talent de Mamoru Oshii, futur réalisateur de Ghost in the Shell qui semble travailler ici le cœur de sa future filmographie.
L'animation japonaise et les robots géants c'est comme une grande histoire d'amour, une rencontre en tout cas qui ne cesse de marquer l'histoire des studios, des créatifs et, forcément, les spectateurs de l'archipel. De Gundam (LA référence) à Macross jusqu'à la relecture post-modern Evangelion, ces énormes machines sont loin d'être de simples fantasmes pour adolescent férus de tôles, mais bien un reflet conscient et exotique de leur pays d'origine. Véritable cas à part dans le genre, Patlabor (pour patrouilles de labors) a été entièrement construit et imaginé pour donner une vision plus adulte, en tout cas moins « sentai » en prenant les attentes du public à contre-pied. Dans Patlabor, et ce malgré le titre, les robots géants contrôlés par la section de police ne sont pas les héros, mais de simple outils (comme une voiture ultra-classieuse) que l'on sort du garage en cas de nécessité. Une vision assez unique donc, laissant plus de place à un certain réalisme, un vrai sens du détail et surtout une caractérisation de « vrais » personnages. Le film s'inscrit comme un manifeste par Headgear, réunion de cinq personnes bien décidées à décrire ce quotidien particulier : Masami Yûki (à l'origine du concept), Yutaka Izubuchi (designer remarqué sur Gundam Z ou Lodoss), la star des chara-designer Akemi Takada (célébrée pour Lamu, Max et compagnie ou Creamy), le scénariste Kazunori Ito (Avalon, la trilogie Gamera) et enfin le jeune réalisateur Mamoru Oshii. Plutôt confiants, ceux-ci vont mettre en place un plan global pour transformer leur Patlabor en œuvre transmédias qui connaîtra des extensions sous forme de manga, d'une série TV (diffusé en partie en France), de deux salves d'OAV et surtout de trois long métrages représentant la quintessence absolue de la licence.
Un plan marketing ? Certes, mais plus que tout autre série de robots, Patlabor est clairement marqué par la personnalité de ses créateurs, et en particulier du duo Ito / Oshii. Déjà aux commandes sur les 7 premières OAV, jouant avec brio sur le mélange de chronique sociétale et de polar humoristique, les futurs compères de Ghost in the Shell n'hésitent pas, succès aidant, à définitivement transporter la saga vers des hauteurs inespérées dans le premier long-métrage. Préservant encore en partie la fantaisie très nippone de certains personnages (l'adorable Noa, les réactions excessives...), Patlabor Le Film confronte la petite troupe d'enquêteurs au plan millénariste (l'action se déroule en 1999) d'un programmeur qui tente de rejouer l'écroulement de Babel. Usant en toile de fond de tous les codes du policier habituel, avec même un final mécanique et musclé, parfait reflet des années 80, le film se voit pourtant constamment nimbé d'une pesanteur presque mélancolique, ne reflétant pas vraiment l'énergie de la section de police montée, mais se laissant bien envahir par le point de vue de Eichi Oba, dont le spectateur assiste à un suicide prophétique dès les premières minutes. L'innocence disparaît peu à peu, et cette tonalité toute particulière entraîne à la fois le film vers un fantastique diffus mais inquiétant (récurrence des oiseaux, références bibliques, labors qui se déplacent seuls), et surtout une réalisation aux accents contemplatifs. Déjà solide sur les OAV, Oshii prend véritablement ses marques, profitant des thématiques disposées par le script pour entamer sa réflexion personnelle sur le lien entre l'homme et la machine, la naissance de la conscience et surtout en cherchant à capturer à un monde en pleine désintégration : culture vs modernité, un combat perdu d'avance. Epaulé par les compositions incantatrices de Kenji Kawai, le cinéaste impose sa future patte visuelle et, tout en soignant tel un artisan ce polar sophistiqué et moderne, donne naissance à une œuvre mutante mais passionnante.
Cette virtuosité aussi bien technique (les séquences en full-animation !) qu'artistique saute encore un palier quatre ans plus tard pour le retour de Patlabor sur grand écran. Après le thriller fantastique, Oshii utilise l'univers pour livrer une réflexion politique extrêmement puissante sur la démocratie moderne, gangrénée par l'apathie, en posant inlassablement la même question : « une guerre juste vaut-elle mieux qu'une paix injuste ? » Le film se garde bien de répondre, choisissant une nouvelle fois d'embrasser en partie la personnalité de Yukihito Tsuge, cerveau d'une machination extrêmement complexe aux accents de terrorisme et de guerre civile, en donnant à l'ensemble une atmosphère d'un fatalisme désarmant. D'où l'absence d'un humour direct, et la prise en main du premier plan par Gotô et Nagumo, les deux commandants de la fameuse faction de police véhiculée. Deux caractères bien plus matures, armés d'un vécu en sous-entendu dont les tensions et regards construisent tout autant le film que l'enquête proprement dîte. Elégante, inspirée, précise mais toujours sobre, la mise en scène scrute autant le décor urbain que les visages des personnages à la recherche d'une obscure vérité, force les contrastes et use bien entendu des plan méditatifs comme d'un dispositif organique, évident, qui concentre à chaque apnée toutes les ambitions du long-métrage. Sublimes dans son animations (l'ouverture sur la main mécanique) et ses designs (Takada « normalisé »), brillant dans sa narration, ce second film est sans aucun doute l'un des films d'anticipation les plus percutants et intelligents des années 90, annonçant avec clarté l'état de guerre froide globale qui paralysera ce nouveau millénaire.
Une maestria que ne réussit jamais à retrouver le troisième et tardif long-métrage dédié à Patlabor. Entièrement produit loin des membres originaux de Headgear, WXIII tente de raviver la flamme en proposant une enquête presque uniquement concentrée sur la collaboration entre deux détectives, jusqu'ici personnages secondaires. Kusumi et Hata, deux flics classiques empruntés aux films noirs, qui vont forcément s'opposer lorsqu'une sublime et frêle scientifique va devenir le cœur de leurs enquêtes. Un film qui croise les nombreux bio-thrillers qui faisaient fureur dans les des années 2000 (comment ne pas penser à The Host ?), le film de Takuji Endo et Fumihiko Takayama (scénariste de Sword of the Stranger) joue avec les effets horrifiques, exploite des ambiances sombres et baignées de pluie façon Seven, et surtout se démarque de ses deux prédécesseurs en croisant sans vergogne le film de monstres. Interviennent d'ailleurs à ce niveau les meilleures séquences, mais le film perd fortement de leur aura à force de vouloir singer l'esthétique de Oshii, entre une fausse retenue dans les cadrages, et surtout de nombreuses séquences contemplatives qui se contentent de filmer un vide diégétique assez triste. Comme s'il suffisait que Kenji Kawai imprègne sa musique d'une fine tristesse pour que les images se chargent d'elles-mêmes de poésie. Dommage, sans pouvoir certes concurrencer les premiers métrages, Patlabor 3 manque singulièrement de caractère, et donc des personnalités fascinantes de Mamoru Oshii et de son scénariste Kazunori Ito, parti depuis longtemps commettre quelques autres chefs-d'œuvres.








