Au début de sa carrière, l'unanimité publique et critique voyait en Brian DePalma un dangereux clone d'Alfred Hitchcock. Si le rapprochement s'avérait logique, le qualificatif n'en était pas moins impardonnable, DePalma s'étant toujours évertué à mettre en scène les films d'Hitchcock qu'Hitchcock lui-même n'aurait jamais osé signer. De fait, les thrillers réalisés par DePalma entre la seconde partie des seventies et de la première moitié des eighties sont aussi brillants que vulgaires, aussi terrifiants que caricaturaux, aussi sérieux que parodiques, aussi excitants que machos.
La sortie en Blu-ray de Pulsions et Blow Out nous permet aujourd'hui de nous pencher sur le thriller érotique le plus abouti du cinéaste et sa suite inavouée, offerte au fan comme un adieu provisoire au genre. Si l'on peut dresser des parallèles sans fin entre tous les films de Brian DePalma, Pulsions et Blow Out sont certainement les jumeaux les plus évidents. Dans les deux cas, l'auteur s'amuse déjà à détourner le langage cinématographique à des fins a priori purement sensorielles. L'une des plus belles séquences de Pulsions reste ainsi l'une des plus dispensables au premier abord : située dans un musée, elle met en scène une partie de cache-cache interminable entre l'héroïne et un charmant inconnu, lequel a pris possession d'un de ses gants. Sublimées par un cinémascope au mouvement fluide, presque caressant, et soutenues par une musique alliant suspense, drame et érotisme, ces quelques minutes à l'apparence accessoires mènent implacablement un personnage vers sa mort. Une mort multiple d'ailleurs, en opposition à celle de Psychose qui succédait à une sorte de purification du personnage principal. Ici, DePalma accumule les rebondissements lourds de conséquences dans l'avenir de l'héroïne (la culotte introuvable, la contamination vénérienne, la bague oubliée sur la commode) pour tous les jeter à la poubelle en quelques plans monstrueux de cruauté. Plus vite encore qu'Hitchcock en 1960, DePalma embraye sur un second film distinct, qu'il achèvera en rejouant de manière extrême trois scènes de Psychose, le discours hilarant d'un psychanalyse précédant une visite d'hôpital psychiatrique et une scène de douche onirique.
Le fameux cliché de la scène de la douche sert également d'ouverture à Blow Out sous une autre forme mensongère, celle d'un extrait de série Z en abyme du film. Plus que jamais, DePalma semble décidé à se servir du médium Cinéma pour résoudre son histoire. Faisant appel à une armée de techniques imparables (plans-séquences et split-screen dès l'ouverture), le cinéaste impose l'Image comme le personnage principal de ses films, l'héroïne sans qui l'intrigue stagnerait dangereusement. Dans Pulsions, un jeune homme espionne les sorties des résidents d'un immeuble à l'aide de sa caméra super-8, ébréchant ainsi une grande partie de l'énigme. Dans Blow Out, un sound designer immortalise l'accident de voiture d'un sénateur à l'aide de son micro canon et, grâce à une multitude de photographies trouvées dans la presse, recompose à 24 images par seconde le film du crime. "Voir c'est croire", nous dit DePalma. Le cadre chez lui n'a rien d'innocent, et aucune information n'est à aller chercher hors du champ, la multiplication des points de vue au sein d'une même scène s'arrangeant toujours pour nous montrer le strict nécessaire.
Voir c'est croire, et ceux qui ne voient pas ne peuvent croire. L'un des thèmes les plus passionnants chez Brian DePalma, tout particulièrement dans Pulsions et Blow Out, est bien l'isolement des héros. Les preuves visuelles disparaissant les unes après les autres, personne ne veut admettre leur abracadabrant témoignage. Dans les deux films, DePalma resserre progressivement l'étau autour de ses protagonistes, multipliant les sous-intrigues (la scène du métro dans Pulsions, les cabines téléphoniques dans Blow Out) dans le seul et unique but d'étoffer encore un peu la tension. Rêveurs, adolescents attardés, du moins marginalisés par un mode de vie que la morale réprouve, lesdits personnages se retrouvent prisonniers de leur bulle, que la menace extérieure risque de faire éclater à tout jamais. Ce qui nous amène à l'une des problématiques les plus souvent condamnées du cinéma de DePalma : la vision très particulière de la féminité. En se concentrant sur des héroïnes marginales et excentriques, le réalisateur se risque à des amalgames brutaux mais assumés : la femme forte aurait systématiquement tendance à monnayer sa sexualité (Nancy Allen dans les deux films), et sa survie (ou non, dans l'un des deux films) dépendrait de cette faculté à accessoiriser ses charmes pour parvenir à ses fins. Cette femme n'en reste pas moins fragile, voire étonnamment innocente malgré les horreurs qu'elle a vécues. Sans doute influencé par une enfance privée de cocon familial, De Palma persiste en signe en faisant des autres personnages féminins autant de projections de fantasmes masculins : la quadragénaire nymphomane de Pulsions, les bimbos dénudées de Blow Out... Sans doute influencé par une enfance privée de vrai cocon familial, DePalma réalise là deux de ses films les plus impudents. Mais toujours cohérent avec lui-même, maître du moindre mouvement de caméra et de sa signification profonde, il signe aussi deux des joyaux les plus fascinants de l'histoire du cinéma.






