Pas moyens de passer à côté de Candyman lorsqu'il est question d'adaptations de l'illustre Clive Barker, tant le film est considéré comme la transposition la plus réussie de ses écris. Impossible non plus de passer à côté lorsque le sujet vient à se poser sur la figure du croquemitaine moderne. Et pour cause.
Film totalement inattendu au début des années 90, Candyman est sans aucun doute un petit miracle à lui tout seul. Adapté d'une nouvelle presque théorique, ou en tout cas vaporeuse de Clive Barker (The Forbidden) autour du concept de la légende urbaine, le film aurait pu rapidement devenir, avec son croquemitaine iconique, un simple slasher du samedi soir pour ados en recherche de sensations fortes. Candyman aurait pu n'être qu'un sous-Freddy de plus, remplaçant (admirablement certes) les griffes par un crochet de boucher, les brûlures par un essaim d'abeilles logé dans sa cage thoracique. Mais ne serait-ce que par ses origines, la créature incarnée par un impeccable Tony Todd (rien que sa voix...) dépasse les attentes en s'inscrivant dans une légende du martyr, celle d'un artiste noir massacré par quelques riches sadiques blancs qui ne voyaient pas d'un bon œil sa romance avec une jolie blonde de leur rang. Loin de poursuivre les descendants de son supplice, Candyman hante le quartier pauvre où il est né, habitant les rumeurs, personnifiant les crimes nés de la misère, de la drogue et de la ségrégation contemporaine.
Alors auteur d'un méconnu mais fascinant Paper House, Bernard Rose s'attache tout particulièrement à éclairer cette réalité sale et triste (le tournage dans un quartier entièrement délabré crédibilise la démarche), en suivant l'enquête de Helen (bouleversante Virginia Madsen) avec une discrétion louable, préférant faire éclater sa blondeur immaculée sur les bâtiments gris ou recouvert de tags, plutôt que de jouer les réalisateurs trop malins. En l'occurrence, Rose fait surtout preuve une intelligence sidérante dans sa lente montée en tension, faisant passer le récit d'une illustration quasi-documentaire, d'une peinture urbaine détaillée, à un film d'horreur brutal, dérangeant. Mais il tend aussi et surtout vers un ésotérisme étonnant, montrant par quelques effets spéciaux efficaces et une caméra qui se fait de plus en plus fluide la création d'une nouvelle mythologie, d'une nouvelle légende urbaine (rappelant celle de la « vraie » Bloody Mary). Ou quand un concept impalpable devient corps. Maîtrisé de bout en bout, Candyman est sans aucun doute l'un des plus grands films d'horreur modernes, imprimant dans la mémoire collective l'image d'un boogeyman sadique mais aussi et surtout foncièrement tragique, voire romantique, dont le souvenir se propage au son d'une sublime bande originale de Philip Glass. Le compositeur de musique conceptuelle, minimaliste et entêtante, transcende ici quelques notes de piano, les voix lointaines d'un chœur restreint, les sonorités d'un synthé désincarné ou d'un orgue d'église pour créer séquence après séquence un opéra baroque et mélancolique absolument inoubliable. Une œuvre cinématographique sophistiquée, adulte et trente ans après sa sortie toujours aussi terrifiante.



