Sortant en retard (une exploitation en plein été aurait été plus logique), Piranha 3D offre tout de même l'opportunité, en cette triste rentrée, de ne pas regretter les délices de la plage, terrain de jeu à l'écran d'une horde de bestioles gloutonnes aussi farceuses que ces bons vieux gremlins.
Récemment interrogé par Vanity Fair pour cause de passif piranhesque chargé, James Cameron se sera montré impitoyable vis-à-vis du dernier long-métrage d'Alexandre Aja, arguant que ce nouveau Piranha représente « tout ce qu'il ne faut pas faire en 3D, les effets appauvrissant le médium en rappelant les bandes opportunistes des années 80, comme Vendredi 13 3D. » On ne peut jeter la pierre au grand prêtre de la « révolution Avatar » face aux money shots ouvertement ringards placés ici et là par Aja : un verre de bière balancé au visage du spectateur, une adolescente qui vomit au ralenti sur la caméra, une paire de nibards qui pointe copieusement sous la surface de l'eau, une rame tendue au public ou encore un Piranha surgissant violemment de la bouche d'une pauvre victime. Pour autant, difficile d'incendier le projet d'Aja, tant sa démarche rétrograde et assumée comme telle se montre honnête. Distribuant exactement ce que la campagne publicitaire avait promis, Piranha 3D appartient, dans le ton, à un autre âge cinématographique - en cela, le choix de mettre en scène des créatures décrites comme préhistoriques n'a rien de gratuit.
Divertissement en apparences bas du front, pensé pour maximiser le Kill Count des poissons carnassiers, notamment lors d'un bain de foule enchaînant les gags sanglants les plus inventifs (kudos aux fantastiques maquillages gore de Nicotero et Berger), Piranha 3D file à toute allure d'un point A à un point B sans jamais déroger à la linéarité de sa structure. Reste qu'en-dessous du spectacle tripal, vraisemblablement conçu à l'attention d'un public de fans, Aja et son co-scénariste / producteur / réalisateur de seconde équipe Grégory Levasseur ont l'intelligence d'entrechoquer deux données culturelles antinomiques : d'un côté, une cellule familiale renvoyant aux classiques de Joe Dante (père absent, adolescent poussé à agir comme un adulte, enfants débrouillards mais gaffeurs), de l'autre, une trash attitude totalement ancrée dans les années 2000 (amateurs de strings, de t-shirts mouillés et de pornstars décérébrées, vous allez être servis). Ce paradoxe temporel et tonal, Aja et Levasseur le symbolisent judicieusement à travers leur casting et leurs personnages : un vieux pêcheur prénommé Matt et campé par Richard Dreyfuss (ça ne vous dit pas quelque chose ?), un scientifique spécialiste des choses du passé interprété par Christopher Lloyd (Nom de Zeus !), une mère de famille sévèrement burnée incarnée par Elisabeth Shue, prétendante de Tom Cruise dans Cocktail, enfin, un réalisateur de porno tout ce qu'il y a de plus moderne portant les traits de Jerry O'Connell, ex-acteur enfant révélé en 1986 par Stand by me. Pas dupe, le duo de cinéastes propose avec Piranha 3D une expérience aussi paradoxale que les actes de son jeune héros, à la fois primaire et réfléchie, partisane et méfiante, un film vulgaire autant qu'un pamphlet mordant sur la vulgarité d'une civilisation en roue libre.