Déjà un troisième ouvrage publié par le jeune éditeur français Aardvark Editions après le plébiscité Kaiju, Envahisseur & Apocalypse et une étude solide du cinéma populaire HK avec Hong Kong Action. La traduction d'un ouvrage référence en l'occurrence, entièrement dédié à Les Diables de Ken Russell, film injustement maudit pour certains, sacrilège pour d'autres.
Énorme scandale en 1971 s'attirant les foudres des légions de ligues chrétiennes, des autorités de la censure, d'un studio particulièrement frileux et d'une presse totalement dépassée, Les Diables est encore et toujours à l'heure actuel invisible dans sa version intégrale et inédit en vidéo en dehors d'un double DVD en Angleterre comprenant un cut de 111 min. D'autant plus rageant et difficilement compréhensible puisqu'une version reconstituée du montage originel a été produit en 2002 avant d'être à nouveau enterré par une Warner qui semble bel et bien décidé à totalement enterrer le film. Juste un film. Cité allégrement parmi de nombreuses listes des plus grands films de l'histoire que ce soit chez des critiques renommés ou des réalisateurs comme Joe Dante, Brian Singer ou Guillermo Del Toro, Les Diables ne sortit que quelques semaines avant le fameux L'Exorciste produit par le même studio et lui aussi mêlant véritables aspirations chrétiennes à une vision modernes de possessions démoniaques, de l'église et du blasphème. Mais là où le classique de Friedkin illustre le combat du bien contre le mal, le chef d'œuvre de Ken Russel (Love, Tommy, Au-delà du réel, Mahler...) compose un tableau bien plus trouble, ambiguë, fustigeant les autorités religieuses et l'instrumentalisation de la foi dans une gigantesque fresque opératique où se mêlent tortures insoutenables, nonnes lubriques, orgies cléricales et agonies frontales sur le bûcher.
Il s'inspire pourtant d'un authentique fait divers historique s'étant déroulé à Lundun en France en 1634, et du roman que lui a consacré Aldous Huxley (Le Meilleur des mondes), où une série de possessions démoniaque auraient surtout servi à dissimuler les manipulations du Cardinal Richelieu pour évincer le charismatique père Urbain Grandier. Une œuvre foisonnante, puissante, profitant de décors démesurés, de nombreux figurants aux bords de l'hystérie et d'un Oliver Reed impérial en messie queutard, qui fascine aujourd'hui autant pour ses qualités intrinsèques que pour l'aura de souffre, de mystère qui l'entoure et son statut d'œuvre maudite. C'est ce qu'explore bien entendu le journaliste canadien Richard Crouse dans son ouvrage paru là-bas en 2012, et qui se base sur une longue enquête, des témoignages directs (dont ceux du réalisateurs, des acteurs, du décorateurs, du monteur...) et des artistes fans (dont une longue et passionnante interview de Guillermo Del Toro) pour retracer avec passion les coulisses d'un tournage entouré de nombreux fantasmes, pour dresser les portrait de personnages hors-normes qu'étaient Ken Russell et Oliver Reed et tenter de comprendre la raison d'un acharnement toujours aussi féroce 50 ans après sa sortie.
Un ouvrage passionnant qui replace parfaitement le film dans son époque et l'œuvre du cinéaste, reconstitue avec soin des séquences parfois aujourd'hui totalement perdues ou invisibles et vient aussi bien attiser la curiosité des malheureux qui n'ont pas encore eu l'occasion de voir Les Diables que ravier la flamme des autres. A noter qu'Aardvark, en plus de nous gratifier d'une sobre mais jolie édition, a eu la très bonne idée de glisser en suppléments dans les dernières pages une sélection particulièrement fleuries des meilleures critiques françaises qui accompagnèrent la sortie. Preuve que la bêtise et l'inculture ne se sont pas limitées aux pays anglo-saxons.


