Boulimique, Clint Eastwood n'arrête plus de filmer. A raison de trois films tous les deux ans, l'auteur d'Impitoyable semble bien décidé à combler les derniers manques de sa filmographie avant qu'il ne soit trop tard, abordant les thématiques et les genres les plus différents. Après le faux-vigilante movie Gran Torino, et avant le thriller fantastique Hereafter, le grand Clint consacre ainsi un film au légendaire Nelson Mandela, dont l'angle choisi n'est pas des plus sensationnalistes.
On s'en doutait depuis longtemps, Morgan Freeman était né pour interpréter un jour la figure mythique de Mandela, symbole à lui seul du combat contre l'appartheid et pour l'égalité des droits parmi la population sud-africaine. Invictus confirme au-delà des espérances : à l'écran, Freeman livre une performance étincelante, fidèle au charisme de son modèle. La grande surprise du film réside clairement ailleurs, dans son refus de surfer sur le pathos et de reproduire les chapitres les plus sombres de l'existence de Mandela. A commencer par ses 27 années d'incarcération, évoquées ici via un pseudo-flashback de quelques secondes à peine. A vrai dire, les critiques pleuvent déjà à l'encontre de la démarche narrative de Eastwood et ses scénaristes, beaucoup accusant l'équipe de paresse dramatique pure et simple. Ce serait, justement, ne pas saisir du tout l'essence même de la personnalité de Mandela.
Plutôt que de ressasser les vieilles rancoeurs, Eastwood, à l'instar de son personnage principal, décide d'aller de l'avant. D'un calme et d'une tendresse infinis, Invictus a dès lors tout, dans la forme, d'un film mineur. Bien que Clint, en souvenir du superbe Dans la ligne de mire, amorce à deux reprises un suspense aux allures de crime d'état, avec à l'appui une armée de gardes du corps sur le qui-vive, l'objectif n'est pas ici de jouer sur un danger de vie ou de mort. Ni même sur une quelconque love story, les protagonistes n'évoluant guère à ce niveau de la première à la dernière image. En simplifiant à l'extrême les moteurs supposés du récit, le cinéaste souligne paradoxalement l'essentiel, à savoir l'intelligence et l'humanisme exacerbé du projet de Mandela, visant par une succession de manipulations hautement pardonnables à unifier un peuple jadis fratricide. Les parties de rugby, bien que filmées avec puissance et classe, ne servent ainsi que d'outil à l'une des plus belles retrouvailles qui soient, la victoire finale dépassant de très loin les murs bétonnés du stade et les pixels des écrans de télévision. Un drame carcéral de plus aurait-il seulement pu délivrer une émotion aussi universelle ?