Créateur de la série originale, James O'Barr sera par la suite resté à distance polie des nombreuses variations qui suivront. Il accepte pourtant de reprendre la plume en 2013 pour IDW avec le, à nouveau, très personnel Curare qui entraîne le concept vers de nouveaux horizons.
Avec sa figure iconique de vengeur gothique et fantasmatique, The Crow a assez logiquement donné naissance à de nombreuses mini-séries s'efforçant plus ou moins de faire évoluer l'image de ce revenant d'outre-tombe accompagné de son inquiétant volatile. Hommes, femmes, jeunes, vieux, échappés d'un monde contemporain trop dangereux ou d'épisodes historiques tragiques, les descendant d'Eric Draven travaillaient alors une même esthétique, une direction assez équivalente... à l'instar d'ailleurs des deux assez tristes suites cinéma. Mais lorsque l'éditeur récupère les droits de la licence en 2012, il se lance dans une large opération de séduction auprès de l'auteur mythique qui va finir par accepter grâce à la liberté totale promise. Et ce dernier prend effectivement un risque puis que Curare s'écarte nettement de la structure connue, la pauvre victime en question ne revenant pas sous une forme physique et increvable, mais sous la forme d'un véritable fantôme. Celui d'une petite fille, Carrie, retrouvée morte, violée, le corps abandonné dans une friche, et dont l'enquête hante des années durant le Lieutenant Salk, épluchant témoignages, photos, frappant à mort les délinquants sexuels à la recherche d'une piste, d'un indice, quitte à perdre son travail, sa famille... Curare n'est pas un comics d'action, n'a rien de la vendetta salvatrice, mais ressemble surtout à un petit polar amer, enquête autour des actions d'un serial killer, où l'abnégation du protagoniste s'approche dangereusement de la folie.
La petite voix qu'il entend sur la table d'autopsie, l'image de cette gamine meurtrie dans pureté, venant l'épauler in extremis et lui offrir le détail qui lui manquait, peut tout aussi bien être une nouvelle émanation de l'esprit des morts que de simples visions délirantes. Le premier The Crow était tristement inspiré de l'agression dont il fut victime avec sa compagne. Curare est un croisement entre les souvenirs de mauvais traitements connus lorsqu'il était en foyer enfant, et un triste fait divers qui le marqua durablement, et permet de retrouver son écriture pessimiste, son regard toujours cru et frontal sur le sordide de l'existante, mais où pointe à chaque fois une étrange délicatesse, celle d'un écorché vif. Malgré les airs pathétiques de ce flic aux traits inspirés par le génial Denis Franz dans NYPD Blues, malgré les détails scabreux des sévices perpétrés sur le petit corps de la fillette et les découvertes malsaine qu'il fera dans la cabane oubliée du tueur, The Crow Curare se raccroche constamment à un faible espoir d'humanisme, à une légère tendresse échangée entre un mec trop vieux pour ses conneries et le fantôme d'une petite fille qui n'intéressait plus personne depuis longtemps. Déchirant, surtout quand l'artiste français Antoine Dodé (Armelle, Pierrot Lunaire) y apporte sa propre fragilité avec des illustrations tremblotantes, aux contours de dessins animés pour bambins, mais pervertis par la dureté de la vie. Variant la palette de couleurs en fonctions des époques où se déroule le récit, maniant aussi bien les cadres opaques et étouffants, que la terrible évocation d'une enfance tragique par le biais d'une naïveté rêveuse, le dessinateur affirme à chaque planche la place particulière et passionnante que cette mini-série a dans la longue lignée The Crow. Surprenant et sans doute le plus éprouvant après le chef d'œuvre bien connu.

