POLAR 80
France – 2023
Genre : Cinéma
Auteur : Rod Glacial
Nombre de pages : 380 pages
Éditeur : Le Chat qui fume
Date de sortie : 15 novembre 2023
LE PITCH
De la fin des années 70 au début des années 90, le modèle Belmondo/Delon s’essouffle, tout ce que la France compte comme acteurs et actrices emprunte avec ou sans conviction un passage obligé : la case « policier ». En parallèle de la comédie, le polar est définitivement le genre le plus prolifique de l’époque et les producteurs s’en donnent à cœur joie. Au sein de cette immense collection de 300 films noirs ou gris, intégralement chroniqués dans ce livre : des réussites, des échecs, des rires, des larmes, mais surtout un formidable miroir de la décennie 80, avec toute sa frime, ses flics et ses crimes.
Une sale époque !
Question de solidement accompagner une collection de Bluray explorant depuis quelques temps déjà, et avec ferveur, les ruelles les plus grisâtres et brutales du polar français des années 80, Le Chat qui fume confie le 8ème volume de ses ouvrages dit « Nitrate » à Rod Glacial, DJ sur France80 et patron de la chaine Vimeo Club80. Autant dire que le présent ouvrage tiens de l’obsession sainement maladive.
Les sorties successives de La Balance, Le Bar du téléphone, A coups de crosse, Les Fauves et le petit dernier Brigade des mœurs (dont l’édition UHD était épuisée avant même la date de sortie officielle), montre l’attachement de l’éditeur cinéphile à ce genre qui a habillé les 80’s de ses blousons noirs, ses jeans et ses lunettes fumées. Une démarche concrétisée désormais par le guide en présence ici, véritable petite bible de tous les films projetés et diffusés de 1980 à 1989 (logique non ?) s’apparentant de près, et parfois d’un peu plus loin, à l’un des genres les plus populaires qui soit. Après les années 50/60 et leurs détectives pépères, malins et garants d’une société solide, et les 70’s plus traversée par les atmosphères paranoïaques et une émergence politique revendicatrice, les 80’s achèvent les dernières digues d’une croyance en un état providence et en une police qui serait au-dessus de la violence perpétrée par les criminels. Au-delà du changement de look spectaculaire, la bleusaille se confondant parfois avec les pires clodos de banlieue parisienne, c’est désormais souvent à un monde sans foi ni loi que le spectateur est convié, traversant les quartiers délabrés, les rues saccagées, les zones les plus pourries de France en compagnie de justicier, assermentés ou non, qui n’ont plus rien à perdre et pas grand-chose à gagner. Rod Glacial montre bien ici l’incongruité des cadors d’autrefois, Belmondo et Delon en tête, tentant désespérément de s’accrocher à un box-office de plus en en plus timide, lorsqu’une nouvelle génération de petites gueules (Gérard Lanvin, Giraudeau, Daniel Auteuil, Richard Berri, Christophe Lambert, Léotard… des mecs, surtout comme toujours) commencent à prendre toute la place et à surtout refléter beaucoup plus réalistement l’âpreté de la société.
Les spécialistes et les amateurs
Plus de héros, mais des âmes damnées, silhouettes crasseuses, machines brutales, casse-cou misanthropes et tout aussi souvent, il faut bien l’avouer, acteurs poseurs et un poil branleurs. Avec son bouquin Rod Glacial prend le pouls d’une époque, sa température, ouvrant chaque année par quelques pages de mise en contextes (actualités, faits divers, modes, musiques…), avant d’attraper chaque film un à un pour leur dresser le portrait. Une écriture mitraillette, un ton irrévérencieux, moqueur, acide, mais aussi capables de quelques louanges, donnent à ce Polar 80 des airs de catalogue exhaustif alternant les grosses prods historiques ou bien connues (Le Grand Pardon, Légitime violence, La Balance, les Yves Boisset, les Chabrols…) et les tentatives beaucoup obscures, oubliées voir douteuses, devenue culte ou enterrées. Les chroniques sont souvent rapides, vont à l’essentiel donnant, même quand c’est bien méchant, une furieuse envie de partir en quête de copies de certains films évoqués, voir de tous (mais il faut du temps à perdre). La gouaille du critique n’est pas toujours très tendre (espérons que Berry a de l’humour… oups), s’emballe autant pour les atmosphères bis des uns et l’élégance des autres, et ferait même passer quelques daubes pour des nanars sympathiques. Cerise sur le gâteau, l’ouvrage est aussi entrecoupé d’interviews inédites, et carrément pas langue de bois, de certaines des plus belles signatures ou des gueules les plus mémorables de l’époque : Jean-François Balmer, Dominique Pinon, Bob Swaim, Jean-Claude Missiaen, Hammou Graïa, Thierry Lhermitte… et même Alexandre Arcady manifestement pas rancunier.
On regrettera peut-être à l’arrivé l’absence d’un texte véritablement transversal et plus théorique qui aurait permis de capturer véritablement tous les visages et les remous de ce fameux Polar 80, mais le pavé (pas de la rue mais aussi lourd) se bouffe autant qu’il se picore avec délectation. On dirait même qu’il trouverait idéalement sa place dans les chiottes d’un cinéphile… en espérant qu’il ne nous en veuille pas.