LES AIGUILLES D’OR
Gilded Needles – États-Unis – 1980
Genre : Drame, Thriller
Auteur : Michael McDowell
Nombre de pages : 520 pages
Éditeur : Monsieur Toussaint Louverture
Date de sortie : 06 octobre 2023
LE PITCH
Dans le New York de la fin du XIXe siècle coexistent deux mondes que tout oppose. D’un côté, l’opulence et le faste. De l’autre, le vice monnayé et l’alcool frelaté. C’est à leur frontière, au cœur de l’infâme Triangle Noir, qu’une famille fortunée va chercher à asseoir sa notoriété en faisant mine de débarrasser la ville de sa corruption. Les Stallworth, dirigés d’une main de fer par leur patriarche, l’influent et implacable juge James Stallworth, assisté de son fils Edward, pasteur aux sermons incendiaires, et de son gendre Duncan Phair, jeune avocat à la carrière prometteuse, ont un plan impeccable : déraciner le mal en éradiquant une lignée corrompue de criminelles : les Shanks.
A Tale of Two Families
Après le phénomène Blackwater et ses six tomes égrenés au fil des mois, Monsieur Toussaint Louverture étoffe sa bibliothèque Michael McDowell (L’Amulette) avec le roman noir historique Les Aiguilles d’or. Encore une fois un volume poche à la couverture gaufrée et dorée somptueuse, et un grand feuilleton sensationnaliste autour de l’affrontement entre une famille de criminels et une autre de notables… Pas forcément beaucoup plus recommandables.
Dans Les Aiguilles d’or, deux mondes cohabitent à quelques rues d’écart. D’un côté celui où trône le Juge Stallworth installant solidement sa famille notable dans les lieux d’autorité de quartiers bourgeois et aristocrates, déjà prêts à s’emparer du siècle à venir. De l’autre, les règles semblent être régies par Lena Shanks, prêteuse sur gages renommée et dont la descendances pratique le vol, la prostitution, l’opium et les avortements clandestins dans des rues qui crient misères, entre alcool et violence. Mais Stallworth a besoin d’un nouveau tremplin pour installer, entre autres, son beau-fils dans la magistrature et va entamer une véritable croisade contre le monde du crime, utiliser tous les outils de propagandes qu’il a disposition (prêche à l’église, journaux à sensation, associations de dames de bonne société…) afin d’éradiquer ses cibles et d’en tirer toute la gloire nécessaire. Prêt à tout pour l’enrichissement de son arbre généalogique ce fervent républicain (hasard ?) va cependant trouver un adversaire à sa taille et les victimes rapidement s’accumuler pour chacun. C’est une constante dans l’œuvre de Michael McDowell d’aborder avec curiosité et cruauté l’imagerie de la tendre famille, où l’auteur révèle toujours les rapports de force destructeurs, les humiliations voire l’aliénation, là où il ne devrait y avoir que dialogues, compréhension et tendresse.
Rats du vice et rats de l’argent
Les soupçons de tendresse vont ici forcément plus volontiers à la famille Shanks qui malgré un quotidien bien ancré dans le vice et l’amoralité, se montre beaucoup plus équilibrée et bienveillante envers ses membres que cette des Stallworth pourtant bien établie dans la belle société. Le roman joue habilement de cette terrible dualité, se découpant en deux grandes parties l’une décrivant avec force détails, entre Dickens et la cour des miracles de Hugo, le New York de l’époque, et la machine implacable qui se met en branle contre les Shanks, et de l’autre leur vengeance aussi terrible que machiavélique. Difficile de trouver une belle morale ici, les victimes ne se transformant pas uniquement en bourreau, mais aussi en monstres, Michael McDowell prenant un malin plaisir à s’enfoncer de plus en plus joyeusement dans des descriptions misérabilistes et sordides du sort réservé aux descendants du juge. Connu pour ses scénarios rédigés pour la série anthologique Tales of the Darkside et bien entendu ses collaborations avec Tim Burton (Beeltejuice, L’Étrange noël de monsieur Jack), l’auteur affirme une écriture extrêmement efficace, visuelle, où les description ne s’appesantissent jamais mais capturent en quelques lignes l’essence d’un personnage ou d’un décors, pour mieux l’intégrer dans un tableau au croisement entre la finesse de la reconstitution historique et l’évocation romanesque du gothique américain.
Dans Les aiguilles d’or on n’est jamais très loin des petits romans à quelques pennies et des histoires sordides qui se racontaient dans les journaux douteux, mais la fascination de l’auteur pour le macabre, les atmosphères poisseuses et un humour noir, acide, toujours déstabilisant, font que le lecteur ne sait jamais s’il doit pleurer de cette tragédie, ou en sourire avec férocité.