LES PORTES DE LUMIÈRE
The Saint of Bright Doors – 2023
Genre : Fantastique
Auteur : Vajra Chandrasekera
Nombre de pages : 384 pages
Éditeur : Bragelonne
Date de sortie : 11 septembre 2024
LE PITCH
Entrave a été élevé pour tuer, affûté comme une lame de couteau dans le seul but d’assassiner son saint de père. Il marche parmi les pouvoirs invisibles : les diables et les antidieux, caricatures d’êtres humains. Il a appris un catéchisme de mort, perdu son ombre et pris l’habitude de se montrer discret. Après une enfance sanglante, il s’enfuit de la petite ville rurale où il est né pour s’installer dans la grande cité. Il y découvre un monde plus vaste, où les messies en puissance sont légion.
Des fenêtre sur un monde
Premier roman pour l’auteur d’origine sri-lankaise Vajra Chandrasekera et déjà un incroyable plébiscite de la critique anglo-saxonne, et quelques prix des plus remarqués avec les prix Nebula, Crawford et Locus dans la catégorie premier roman. Une œuvre cependant des plus atypiques, voyage mystique dans un univers unique et étrange, quête vengeresse contemplative expirant le safran et la cendre.
Comme beaucoup de romans de Fantasy, Les Portes de Lumière est le récit initiatique d’un jeune homme, élevé pour être l’assassin de son père. Les premiers chapitres décrivent son enfance dans un village isolé, aux mœurs effectivement proches de ceux de l’Inde et des nations voisines, son apprentissage de la lame, la nécessité de maitriser ses capacités hors du commun (dues à la séparation dès sa naissance avec son ombre), son premier meurtre, tout cela sous le regard froid et les litanies de sa mère. La jeunesse d’un tueur, d’une machine de mort, mais déjà malheureuse et qui passé une adolescence relativement obéissante (le chapitre résume le tout en trois lignes), s’échappe, parcourt le monde et échoue à Luriat. Une Bombay moderne mais comme issue d’un monde parallèle, où le luxe et la paix apparente, dissimulent une organisation entièrement conditionnée par les différentes castes établies, les races, les origines, comme un cauchemar orwellien. Comme les nombreux codes de la société et des langues luratiennes, le roman ne ménage pas ses peines pour constamment faire perdre au lecteur ses repères, préservant cette curieuse présence fantastique, féerique presque, mais refusant l’émerveillement et l’exotisme et les explications trop nettes.
La dernière tentation
Il préfère décrire avec réalisme, crédibilité et indolence, la lente progression d’Entrave dans ces rues enluminées par de sublimes portes magiques dont personne ne connait vraiment la nature, mais aussi dans ces rues constamment menacées par les épidémies, les pogroms et la mort. Une histoire presque insaisissable, qui ne se tourne jamais vraiment là où on l’attendait, s’embarquant progressivement vers un cheminement spirituel où la triste condition humaine nourrie le cœur du protagoniste, où les terribles épreuves vécues (dont une longue incarcération sans murs et sans frontière…), marche à l’opposée de sa rébellion contre son statut de tueur de messie autoproclamée. Son géniteur donc, figure sanctifiée à la tête d’une secte meurtrière à visage solaire, capable de récrire le monde, sa géographie et son histoire comme tous les tyrans vainqueurs. Ente allégorie philosophique, drame social profondément ancré dans son décorum oriental, épopée fabuleuse et cauchemar intime, Les Portes de Lumière est effectivement un voyage dont le cheminement n’est jamais linéaire, jamais simple, jamais balisé et où les frontières de l’imaginaire et du témoignage sont extrêmement fine et ténue. Quitte parfois certainement à se disperser, à se perdre, à s’enfoncer dans une certaine torpeur, à délivrer quelques évocations hermétiques, mais qui pourtant viennent toujours nourrir cette notion palpable et enivrante d’un roman-monde à quelques encablures du notre, autant par ses paysages, que ses souffrances, ses injustices, ses combats et… sa magie.
Un premier roman qui vaut donc le détour, même si sa déconstruction et son refus de tenir le lecteur par la main ne peut pas plaire à tout le monde. Le second, Rakesfall, sortis aux USA cet été semble poursuivre dans la même veine avec une fresque romantique sur fond de réincarnation à travers le temps.