10 000 FAÇON DE MOURIR
10,000 Ways to Die: A Director’s Take on the Spaghetti Western – Royaume-Uni – 2008
Genre : Cinéma
Auteur : Alex Cox
Nombre de pages : 624 pages
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 16 novembre 2021
LE PITCH
Avec 10 000 façons de mourir, le cinéaste britannique Alex Cox fait davantage que dresser un panorama subjectif et haut en couleurs du western italien : il en restitue l’épopée créative, économique et sociale, définissant le genre comme l’un des plus politiques, contestataires et anarchistes de l’histoire du cinéma.
On les appelait « spaghetti »…
Décrié, moqué, censuré, le western italien fut longtemps considéré comme un genre mineur. Désormais réhabilité, il influence encore le cinéma moderne. Parmi ses disciples, on retrouve le réalisateur Alex Cox qui livre ici son point de vue de cinéaste, passionné et passionnant, dans ce superbe ouvrage.
En cette fin d’année, les éditions Carlotta rendent un bel hommage au western à l’italienne avec la sortie de deux chefs d’œuvre du genre, El Chuncho et Django, dans de superbes éditions restaurées. Ainsi que ce livre somme de 600 pages où Alex Cox nous fait partager sa vision originale et son amour pour ces pellicules violentes, immorales et révolutionnaires.
Cinéaste encore très méconnu dans nos contrées, Cox a découvert ce genre alors qu’il était adolescent dans le nord de l’Angleterre. Comme il le raconte, la société britannique et occidentale était marquée par une violence (le terrorisme de l’IRA, les guerres de décolonisation dont le Vietnam bien sûr, une contestation de plus en plus généralisée…) qui ne trouvait que très peu d’écho dans le cinéma d’alors et notamment le western américain alors à bout de souffle. La jeunesse trouva donc dans les films de Leone et Corbucci (que Cox traite d’égal à égal, les qualifiant de « co-créateurs » du genre) un exutoire, alors que les censeurs et distributeurs étaient horrifiés par ces films à la violence absurde, qui en plus s’autorisaient un commentaire social et politique de l’époque. C’est alors qu’on attribua le sobriquet de spaghetti au genre, ce que Cox trouve très dépréciatif et qu’il attribue, à la rigueur, seulement pour des films comme Sartana, Sabata et Trinita qu’il qualifie malicieusement de « westerns forains » !
Plus qu’une analyse ou une encyclopédie, Cox livre plutôt une interprétation personnelle d’un genre qu’il connaît parfaitement et qui lui inspira notamment son film Straight to Hell, relecture du Tire encore si tu peux de Giulio Questi. Via une trame chronologique, il analyse et décortique une cinquantaine de films (des plus célèbres comme Il était une fois dans l’Ouest, Mon nom est Personne, Colorado aux plus obscurs comme Black Jack, Un mercenaire reste à tuer, Une minute pour prier, une seconde pour mourir…). Tout en nous gratifiant de nombreuses anecdotes, d’informations sur les lieux de tournages et les différentes versions.
Il était une fois la révolution
Comme la plupart des spécialistes du western italien, Cox rappelle évidemment l’importance fondamentale du Yojimbo de Kurosawa dans la genèse de ce genre révolutionnaire. D’ailleurs via une analyse croisée, Cox nous prouve que Pour une poignée de dollars en est clairement un remake. Mais là où le cinéaste s’avère plus original c’est en érigeant le seul film réalisé par Marlon Brando, La vengeance aux deux visages, comme source majeure avec son héros vengeur puis martyr déambulant dans l’histoire de manière absurde.
Le britannique n’hésite pas aussi à raccrocher les westerns transalpins à la tragédie jacobéenne (qui s’inspirait des tragédies antiques) voire shakespearienne, avec ses personnages de vengeurs infortunés. Enzo Castellari réalisera d’ailleurs un saisissant Johnny Hamlet, et comment ne pas voir en Django, l’homme sans nom ou Ringo des réminiscences du vengeur maudit.
N’hésitant pas à égratigner les légendes comme Leone (« En tant que réalisateur, comme sur le plan humain, il se montrait à la fois anti-intello, timoré, ambitieux et grandiloquent »), Terence Hill qu’il juge « inintéressant » ou Clint Eastwood, qui selon lui ne fera que singer Leone et Siegel dans sa carrière de cinéaste, Cox en profite pour réhabiliter nombre d’auteurs oubliés comme Lizzani et Questi (le livre leur est dédié). Une corde, un colt de Robert Hossein est aussi qualifié de western d’art alors que Le grand silence est pour lui « le meilleur des westerns italiens » !
En somme, un ouvrage qui ravira les amoureux du genre, mais aussi les autres qui en apprendront davantage. On pourra être surpris par certains choix ou jugements (Keoma n’a droit qu’à deux lignes, Les quatre de l’apocalypse « ressemble à une pub tv des 70’s », Sollima n’est pas aussi célébré que d’habitude…) mais c’est justement ce qui fait l’intérêt et tout le sel de ce livre amoureux du western italien à déguster en écoutant les plus belles B.O. du genre signées Morricone, Bacalov, Nicolai, Ortolani…