GLOOMHAVEN
États-Unis, France – 2021
Support : PC, Nintendo Switch, Playstation 4, Xbox One
Genre : jeu de plateau
Développeur : Flaming Fowl Studios
Durée : longue
Langue : anglais
Distributeur : Asmodée Digital
Date de sortie : 20 octobre 2021
LE PITCH
Soif de l’or, soif d’aventure, Gloomhaven attire des mercenaires dans ses filets, qui partent à l’aventure aux quatre coins des régions entourant la gigantesque cité…
Du plateau à l’écran
Gloomhaven est un monstre du jeu de plateau, numéro 1 sur le site de référence Boardgamegeek depuis des années, et arrive maintenant dans une adaptation sur PC ; mais un tel titan peut-il être transposé sur PC sans y perdre des plumes ?
D’autant avec le développement du monde du financement participatif, les liens entre jeux de plateau et jeux vidéo se sont renforcés ces dernières années. S’il ne faut pas oublier les grands anciens, comme l’adaptation de Hero Quest sur ordinateurs dans les années 1980, les adaptations de jeux vidéo foisonnent depuis quelques années dans des jeux de plateau au matériel pléthorique, rendant hommage aux graphismes toujours plus détaillés qui ornent nos écrans. De Bloodborne à Darkest Dungeon, de Horizon à God of War, les adaptations sont légion, avec une qualité souvent surprenante pour ce qui peut s’assimiler à du produit dérivé. De même, les mécanismes du jeu vidéo infusent de plus en plus le jeu de plateau, avec des jeux de plus en plus scénarisés, à mécaniques évolutives, notamment les fameux jeux dits « legacy » au matériel qui se débloque, voire qui est détruit en cours de partie (même si la tendance mène plus vers des legacy « light », permettant d’être rejoués après avoir été « terminés »). Le simple concept de « terminer » un jeu de plateau est pour le moins inattendu et récent, avec des jeux toujours plus vastes, toujours plus riches, proposant pour certains des dizaines de parties, des centaines d’heures de jeu, pour en voir le bout.
C’est le cas de Gloomhaven, jeu somme de Isaac Childres, créateur homme à tout faire, dont le financement participatif avait levé plus de 4 millions de dollars pour sa réimpression après une première campagne plus modeste. Une boîte de près de dix kilos, seize classes de personnages, 95 scénarios, des dizaines de monstres différents, du matériel à débloquer en cours de campagne à foison, le tout pour environ 150 à 200 heures de jeu pour 1 à 4 joueurs pour en faire le tour, le tout numéro 1 sur le site de référence Boardgamegeek depuis des années ; les jeux tentaculaires de ce genre sont généralement coopératifs, la gestion de la progression et l’affrontement de l’adversité étant plus aisés à gérer sur le long terme : tout le sel étant d’avoir des systèmes de jeu, et surtout « d’IA » de l’opposition suffisamment riche. Dans Gloomhaven, force est de reconnaître que le jeu reste un tour de force, d’une richesse rare, proposant une expérience avec un vrai renouvellement, mais aussi un jeu à l’entrée assez complexe : un prix élevé (autour de 150 euros), et des règles complexes à assimiler (notamment la gestion des monstres et de leur IA via un système de cartes très bien fichu, mais aux subtilités techniques peu évidentes).
Adaptation d’un colosse
Clairement, la description d’un jeu comme Gloomhaven ne peut qu’évoquer des mécanismes issus du jeu vidéo : les deux médiums ludiques se nourrissent régulièrement, les jeux vidéo inspirés du jeu de plateau étant également nombreux, les jeux de plateau utilisant des applications comme appui au jeu de plus en plus florissantes (que ce soit en outil d’accompagnement pour faciliter le gameplay, ou en indispensable qui accompagne le jeu et gère notamment les IA des monstres, ou des pages de texte de scénario, notamment autour de nombreux jeux Fantasy Flight Games, de Descent aux Demeures de l’épouvante). De même, de nombreux jeux de plateau ont connu une adaptation directe, des Aventuriers du rail à Pandémie, en passant par un paquet de jeux compétitifs ou coopératifs… mais jusqu’à présent, il s’est toujours agi de jeux dont les parties étaient indépendantes, et la facette colossale d’un Gloomhaven est un défi d’une toute autre ampleur, avec des ramifications dans tous les sens, et des mécanismes de jeu somme toute complexes à souhait.
À la base, Gloomhaven, c’est tout simple : on joue deux cartes à chaque tour, une action de la partie supérieure d’une carte, une action de la partie inférieure de l’autre carte, à une initiative définie par une des deux cartes au choix. Et c’est par ce biais qu’on traverse des donjons aux objectif majoritairement simples (les trois quarts des scénarios se résument à « ouvrir toutes les salles et tuer tous les monstres »), en utilisant des objets, en calculant les actions possibles des monstres pour les anticiper, en gérant le fait que certaines cartes de son paquet pourront être défaussées, ou retirées de la partie selon l’utilisation qu’on en fait, qu’il y a des infusions élémentaires qui permettent d’améliorer certains effets, mais dont les monstres pourront se servir aussi, qu’il est possible d’empoisonner les ennemis, de devenir indivisible, ou… Oui, en fait c’est pas « tout simple », on a une densité qu’on peut retrouver dans des tactical-RPG, et il faut planifier un maximum ses actions.
« Mais en fait, je joue un rat sous cocaïne ? » joueur qui découvre le Mindthief
Et c’est là où la version jeu vidéo de Gloomhaven va à la fois briller, et voir le bât blesser : cette version jeu vidéo est une version 1 pour 1 de la boîte de jeu, avec tout le même contenu, les rencontres aléatoires en ville et sur les routes, la possibilité d’améliorer la prospérité de la ville-camp de base pour accéder à de nouveaux objets en boutique, et avec en prime l’avantage évident de ne pas se prendre la tête à devoir gérer les actions des monstres, se rappeler d’appliquer tel ou tel effet, et ainsi de suite. Le tutoriel est plutôt bien foutu, et permet d’apprendre un maximum de subtilités du jeu – y compris sur la complexe gestion des mouvements des monstres –, et le gameplay parvient au maximum à limiter les clics intempestifs pour jouer un tour. On regrettera l’impossibilité d’annuler une action une fois celle-ci réalisée, vu qu’il y a quand même de gros risques d’oublier un petit quelque chose quand on est pris dans la partie, mais l’adaptation est inattaquable.
Mais… cela reste du 1 pour 1, parfois un peu grindy, parfois un peu longuet, et enchaîner les scénarios pourra parfois se révéler un peu fastidieux avant de pouvoir débloquer une nouvelle classe, d’autant que Gloomhaven ne frappe pas forcément par son scénario ; néanmoins, surtout en solo, un scénario étant amené à durer bien moins longtemps que les 2 à 3 heures de la version sur table, le tout se fait avec un certain plaisir. Et ce d’autant que les développeurs ont rajouté un autre mode de jeu principal, permettant de débloquer plus rapidement les différentes options, classes et objets, pour une expérience différente et complémentaire.
S’il n’est pas forcément évident de conseiller Gloomhaven à qui possède déjà la version physique – ses possesseurs se tourneront plus probablement vers Frosthaven, suite monumentale kickstartée il y a quelques mois –, l’expérience reste recommandable à toute personne qui s’est retrouvée hésitante devant le monstre qu’est le jeu de plateau, et qui souhaite s’y confronter d’une manière certes moins conviviale, mais également aussi un peu plus fluide. Tout en restant conscient que cela reste une adaptation de jeu de plateau, et, aussi foisonnant puisse-t-il être, ce Gloomhaven peut présenter une forme d’aridité au final un peu éloignée des expériences de tactical-RPG, dungeon-crawlers et autres rogue-like vidéoludique qui en ont nourri la création.
Notes techniques : sur notre version de test, la version française était assez discutable, car incomplète, nous ne pouvons donc confirmer qu’elle sera parfaite à la sortie du jeu. Nos essais sur le multi, dont le principe est extrêmement excitant (permettant de retrouver au moins partiellement la convivialité de la partie autour de la table) se sont révélés non concluants, mais vu le degré de finition du jeu sur la version de test, nous sommes plutôt confiants.