ZULAWSKI : LES ANNÉES POLONAISES
Trzecia czesc nocy (La 3ème partie de la nuit), Diabel (Le Diable), Na srebrnym globie (Sur le globe d’argent) – Pologne – 1971, 1972, 1988
Support : Bluray
Genre : Drame, Fantastique, Science-Fiction
Réalisateur : Andrzej Zulawski
Acteurs : Malgorzata Braunek, Leszek Teleszynski, Jan Nowicki, Wojciech Pszoniak, Andrzej Seweryn, Jerzy Trela, Grazyna Dylag, Waldemar Kownachi, Iwona Bielska
Musique : Andrzej Korzynski,
Image : 1.85 16/9
Son : Polonais DTS HD Master Audio 2.0 et 5.1
Sous-titres : Français
Durée : 107, 119 et 166 minutes
Éditeur : Le Chat qui fume
Date de sortie : 31 mars 2023
LE PITCH
Réalisateur, scénariste et écrivain, Andrzej Zulawski (1940-2016) est surtout connu du grand public pour L’important c’est d’aimer, Possession ou encore L’Amour braque. Mais on doit aussi au cinéaste polonais des œuvres plus obscures, tombées dans l’oubli, malmenées voire interdites par la censure communiste de l’époque. Ce coffret inédit comprend trois longs métrages tournés par Zulawski durant les années 1970 au prix de nombreuses difficultés.
Le père, le fils et l’insensé
Après Possession et L’Important c’est d’aimer, Le Chat qui fume revient aux origines du cinéma d’Andrzej Zulawski avec ses premiers longs métrages, ses trois œuvres polonaises : La Troisième partie de la nuit, Le Diable et Sur le globe d’argent. Une traversée de l’histoire polonaise, de l’histoire du monde, de l’humanité et de son inévitable destruction.
Si La Troisième partie de la nuit connu en 1971 une distribution relativement classique, et fut même particulièrement remarqué à l’international à une époque où le cinéma polonais était scruté avec attention, Le Diable et Sur le globe d’argent connurent des destins beaucoup plus difficiles. Ancien assistant d’Andrzej Wajda (Cendres), restant un temps son protégé, il fut cependant littéralement chassé de Pologne, obligé d’abandonner femme et enfant, après que les dirigeants aient perçu la portée politique nihiliste du Diable qui fut interdit de sortie salle dans la foulée. Rappelé à la suite du succès de L’Important c’est d’aimer, il se lança alors à partir de 1976 dans l’adaptation fastueuse d’un classique local de la science-fiction avec Sur le globe d’argent. Une adaptation délirante au tournage pharaonique menée par une équipe possédée et où là encore, le cinéaste dévia des attentes « grand public » pour livrer une vision terminale de la nature humaine et de sa civilisation. Extrêmement coûteux, indécent pour certains alors que le pays traversait une récession dramatique, le film fut ne se révéla de toute façon une nouvelle fois pas du tout aux goûts du ministère de la culture toujours sous la coupe de la Russie communiste qui en stoppa définitivement le tournage avant les délais prévus, en confisqua les négatifs et détruisit tous les costumes et les décors futuristes qui venaient enfin d’être livrés. Le film ne sera finalement achevé qu’en 1988, les 20% manquant remplacés par des images de vie urbaine capturées dans la Pologne contemporaine avec la voix of du réalisateur lisant les segments inédits du scénario. Le Diable lui aussi pourra ressortir la même année dans un pays qui enfin commençait à oublier ses années de censures. Des destins étranges, des films interdits, fragmentés, déconstruits puis reconstruits, des menaces directes portées à leur metteur en scène et une tension constante entre celui-ci et un pays qu’il quittera à nouveau la mort dans l’âme, sont forcément des évènements, une réalité, qui ne feront que nourrir encore et toujours son cinéma de folie, de misanthropie, d’infini tristesse et de rage.
Le souvenir, le passé et l’espace
Car définitivement ces trois films sont intimement liés à la Pologne, à cette histoire elle-même brisée et absurde d’une nation longtemps sous la coupe de l’empire Prusse, rapidement envahie par l’Allemagne puis finalement ramenée sous le contrôle d’une URSS tout aussi totalitariste. Comment la génération de Zulawski pouvait y trouver sa place, son identité ? Lui-même a longtemps fait le reproche à ses parents de l’avoir fait naitre en pleine occupation. Inspiré des souvenirs réels de son propre père, diplomate et résistant, La Troisième partie de la nuit est déjà un film apocalyptique où le seul moyen de survivre est d’accepter de nourrir des poux pour un laboratoire cherchant un remède contre le typhus (véridique). Perdant femme et enfant dès les premières minutes du film, Michal traverse le récit en état de fièvre presque constant, se perdant dans des visions de femmes doubles, de disparus revenus comme si de rien était, alors que le pays est déjà réduit à paysage chaotique et décharné. Une variation autour des figures du Vertigo de Hitchcock qui annonce forcément de nombreux motifs du futur Possession, mais qui surtout pose constamment la question de la légitimité de la survie. La fougue du metteur en scène est déjà évidente, son incarnation dans les mouvements de caméra vertigineux, dans le jeu totalement hallucinatoire des acteurs, dans cette vision théâtrale d’un monde qui s’effondre lentement mais surement.
Pour Zulawski la Pologne est déjà morte et ce constat va être largement appuyé dans le suivant Le Diable, se déroulant cette fois-ci dans la Pologne du 18ème siècle mais encore et toujours déchirée par la guerre, façonnée par les charniers qui se succèdent et par des êtres qui semblent définitivement perdus, désincarnés, tels des morts-vivants. Peut-être le plus complexe des films de Zulawski, sans doute par son ancrage historique et politique très précis et propre à son pays, ce dernier tend encore plus fortement vers ce surréalisme de l’abstraction où les dialogues, entre citations shakespeariennes, déclamations politiques et délires philosophiques, se font emporter par une mise en scène exaltée, vertigineuse, dont le but ultime est bien entendu de créer un lien plus sensitif qu’intellectuel avec le spectateur.
A ce titre, Sur le globe d’argent devait certainement en être l’aboutissement, le symbole d’un Zulawski revenu en état de grâce, transcendant le genre de la science-fiction pour étirer sa thématique dévastatrice à l’échelle d’une planète entière. Car si les hommes du futur tentent d’envoyer des humains sur cette autre planète dans l’espoir de recréer un Eden, de provoquer un nouveau départ plein d’espoir et de promesses, le cinéaste démontre avec un dispositif plus grandiloquent et baroque que jamais, que l’humanité ne cesse que reproduire inlassablement les mêmes erreurs. Les trois explorateurs vont s’écharper, donner naissance à des enfants qui s’empresseront de se diriger vers la dictature, la violence des conquêtes, la ségrégation et l’obscurantisme religieux. Une relecture biblique terriblement osée, sombre et fataliste, constamment emportée bien entendu par la conviction cinématographique de son metteur en scène, démiurge hypnotisant ses ouailles par une incarnation shakespearienne ténébreuse à la Orson Welles, une photographie cendrée somptueuse, des costumes sidérants, des décors naturels réinventés, une folie constante et communicative et des fulgurances de genre qui annoncent puissamment les futurs Dune (sans doute que celui de Jodorowsky lui aurait plus ressemblé encore) et tout un pan de la SF low-tech américaine. Éprouvant, comme tout ses films, mais indéniablement visionnaires, Sur le globe d’argent garde même de ses cicatrices de film inachevé, malade, une forme étonnante de poésie désespérée intemporelle, permettant à Zulawski d’approfondir son propos et sa conviction d’une décadence inéluctable de l’humanité avec des images du Varsovie des années 80. Le monde meurt mais le cinéma survit toujours. Coûte que coûte.
Image
Epuisé depuis bien longtemps, l’ancien coffret DVD de Malavida Films, regroupant ces mêmes films, avait de toute façon depuis longtemps fait son temps, reprenant les seules copies, très fatiguées, alors disponibles de ces films rares. Presque dix ans plus tard, Le Chat qui fume a récupéré les toutes nouvelles restaurations produites en Pologne. Des masters 4K aux origines un peu floues (pas sûr que ce soient uniquement des nouveaux scans des négatifs) mais pour un résultat forcément beaucoup plus impressionnant. Des cadres solides et fermement propres, des colorimétries où le terne voulu laisse régulièrement exploser quelques couleurs et variations plus fines et surtout une profondeur de champs qui retrouvent toute la force de la mise en scène de Zulawski. C’est souvent au niveau de la définition, légèrement plus oscillante, que ces copies peuvent parfois fléchir un peu. Si Sur le globe d’argent frôle le sang faute, voir la perfection, La 3ème partie de la nuit et Le Diable laissent apparaitre quelques plans plus doux voir légèrement polis en numérique. Reste que les films n’ont bien entendu jamais affirmé une si éclatante beauté.
Son
Les deux premiers films sont proposés sobrement dans leurs monos d’origine, restaurés là aussi, et transmis par des DTS HD Master Audio 2.0 net et clair. Dialogues, bruitages, mouvements et musique se déversent dans le chaos attendu, mais sans jamais s’y perdre. Achevé en 1988, Sur le globe d’argent profite lui d’une stéréo d’origine plus dynamique et fluide, mais aussi d’un tout nouveau mixage DTS HD Master Audio 5.1 tout à fait en adéquation avec l’échelle spectaculaire du film. Des atmosphères bien présentes sur les arrières, des échos et des hurlements qui s’incarnent dans les enceintes latérales…Le vent puissant ou discret et les musiques détonantes de Andrzej Korzynski y gagnent certainement en pouvoir d’évocation.
Interactivité
Le chat qui fume dédie à nouveau un très beau coffret à Andrzej Zulawski avec fourreau cartonné et digipack quatre volets contenant bien entendu les trois blurays des films mais aussi un quatrième disque réservé au documentaire Escape from the Silver Globe de Kuba Mikurda. Un making of rétrospectif de Sur le Globe d’argent bien entendu qui en mêlant interviews récentes et images d’archives des coulisses ou d’interviews du cinéaste, reconstruit un tournage hors norme, une expérience limite pour tous les acteurs et les techniciens, galvanisés par l’esprit possédé du réalisateur jusqu’à sa résurrection tardive. Voyage fascinant forcément, mais qui surtout développe son propos au-delà de ces détails presque triviaux en retraçant les premières années de carrières du réalisateur, ses rapports houleux avec les autorités polonaises, le divorce forcément très compliqué avec son épouse et les parallèles avec les évolutions et les difficultés du cinéma polonais d’alors. Un portrait extrêmement complet, qui éclaire avec beaucoup de passion et de sincérité la personnalité et la force du cinéma de Zulawski. Brillamment construit, un complément parfait, pour l’excellent ouvrage Une Histoire orale d’Andrzej Zulawski signé François Cau et Matthieu Rostac.
C’est d’ailleurs ce dernier qui revient ici pour une présentation en vidéo des trois films. Un long entretien, mais toujours très intéressants, qui délivre parfois les petits clefs historiques et politiques manquantes pour les spectateurs aujourd’hui et souligne les images et thèmes récurrents des trois œuvres, décrypte certains schémas tout en délivrant de nombreuses informations sur ces « années polonaises ».
Liste des bonus
Les années polonaises par Matthieu Rostac (38 min), Escape from the Silver Globe (2021, 94 min).